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condamnés dont la peine n’est pas achevée ; mais ce nombre diminue chaque jour, et lorsque M. Trollope visita l’Australie de l’ouest, il n’en restait plus que 240 qui étaient relégués dans la prison de Freemantle, une des villes de la colonie et en partie l’œuvre des déportés.

Ce qu’il y a de tout à fait extraordinaire dans l’histoire des colonies pénitentiaires de l’Australie, c’est la douceur relative de mœurs dont ces pauvres convicts ont fait preuve pendant tant d’années. Sans doute les crimes furent nombreux, surtout dans les commencemens, et il fallut multiplier les exemples. Il y eut alors une période de flagellations et de pendaisons tout à fait florissante, où le bourreau fut un personnage important et richement salarié. Il est vrai que ce fonctionnaire avait une besogne assez considérable pour mériter un supplément d’honoraires. Il avait parfois tant à pendre qu’il lui fallait exécuter ses patiens à la file les uns des autres sans mettre d’intervalle entre les exécutions. Les choses allèrent si loin que le chapelain anglican d’Hobart-Town finit par se plaindre, non pas du nombre des pendus, mais de la trop grande célérité avec laquelle ils étaient expédiés dans un monde meilleur ; selon lui, on ne pouvait pas pendre commodément plus de treize convicts à la fois, scrupule humoristico-pharisaïque qui sent passablement sa vieille Angleterre, et qui aurait mérité de figurer comme trait de caractère chez tel personnage de Fielding ou de Smollett. C’est avec une légitime horreur que M. Anthony Trollope parle de cette période sanglante ; ce qui nous étonne cependant, c’est qu’elle ait été si vite close et qu’elle n’ait pas eu une durée aussi longue que celle de la colonie pénitentiaire même. Si nombreux qu’aient été les crimes, il nous semble qu’ils auraient pu l’être bien davantage, étant données la nature de cette population, les facilités que le bush offrait à l’évasion, et la contradiction singulière qui existait entre le dur régime auquel les convicts étaient soumis et la demi-liberté qui leur était laissée ; mais il faut le dire hautement, à la louange de l’Angleterre, c’est dans cette contradiction qu’on doit chercher le secret de la prospérité des colonies pénitentiaires australiennes et des bons et utiles services rendus par les parias anglais à leurs compatriotes. En cette occasion aussi, l’Angleterre recueillit le bénéfice de cette noble confiance qu’elle a toujours et partout montrée en la liberté humaine et qui ne l’a jamais trompée. M. Anthony Trollope a beau nous dire que pendant près d’un demi-siècle le convictisme a été pour l’Australie un équivalent de l’esclavage, ses propres récits condamnent cette assertion. Il y avait entre la condition des esclaves américains et celle des convicts australiens des différences nombreuses qui étaient toutes à l’avantage des derniers. Et d’abord il y avait celle-ci, qui en renferme beaucoup