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César était décidément un adversaire redoutable. Son armée, si bien équipée, munie d’armes supérieures, merveilleusement disciplinée, commandée par des capitaines rompus à toutes les ruses de la guerre, habituée à élever avec une prodigieuse rapidité des retranchemens qui décuplaient sa force de résistance, avait déjà dans vingt batailles affronté, sans se rompre, le choc terrible de la furie gauloise. Régulièrement la journée bien commencée par les défenseurs de l’indépendance se terminait par un désastre. C’était donc seulement à la faveur d’un plan de campagne bien concerté, bien mûri, à la condition de rassembler des vivres et de l’argent, qu’on pouvait espérer de délivrer la Gaule de l’oppression étrangère. Où donc était l’homme de génie qui saurait imposer silence aux rivalités de canton, organiser la guerre de l’indépendance et faire enfin connaître à César les amertumes de la défaite?

Nous sommes maintenant orientés pour saisir dans sa grandeur et sa beauté tragique la carrière un moment si brillante et si tristement arrêtée de celui que nous pouvons nommer le premier de nos héros nationaux, et dont nous comptons nous occuper tout spécialement dans «ne prochaine étude. Vercingétorix est pour nous plus qu’un brave guerrier, ayant su tenir tête à César. Il a déjà la physionomie toute française, et même à un bien plus haut degré que toutes les célébrités de l’époque franque et purement féodale. Car il se battit et mourut, non pour un canton, non pour un suzerain, non pour une dynastie, mais pro patria, pour la patrie gauloise, qui est toujours la nôtre.


V.

Nous sommes fondés en effet à l’affirmer, et ce sera la conclusion de cette première étude, nous sommes foncièrement Gaulois, par nos qualités comme par nos défauts. Le pays qui va de la Manche à la Méditerranée, du Rhin et des Alpes à l’Océan, était prédestiné à fusionner des élémens divers en une masse nationale fondée sur la sympathie des cœurs et favorisée dans sa formation par un don remarquable de sociabilité. Le caractère gaulois n’est pas lui-même un fait premier, il est un produit, une résultante; mais, une fois formé, il n’a plus guère varié. Nos grandes époques sont celles où nos énergies locales ont su converger vers un but commun. La domination romaine, la conquête franque, la féodalité, le catholicisme romain, se sont superposés successivement sur une épaisse couche gauloise et l’ont reléguée longtemps dans l’ombre. Elle n’a recommencé à prendre possession d’elle-même que dans le grand mouvement vers l’unité nationale qui fit la monarchie au moins autant que celle-ci la dirigea, La centralisation est dans notre sang, et, s’il