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les classes tenues à l’écart se lassèrent et revendiquèrent le droit d’exercer le pouvoir à leur tour.

Telle paraît avoir été, d’après tous les indices, la situation générale des populations gauloises au temps de César. On peut voir dans plusieurs passages des Commentaires qu’un peu partout il y a conflit entre le vulgus, le peuple remuant, avide de nouveautés, voulant se donner des chefs de son choix, et les sénateurs, c’est-à-dire les patriciens, grands par la naissance et la fortune. Il y avait donc sur toute la surface de la Gaule une compétition entre un parti oligarchique, particulariste, par conséquent très conservateur et cherchant à entretenir l’état de division favorable au maintien de ses privilèges, et une tendance démocratique, novatrice, sympathique à une certaine centralisation nationale. On voit en effet que c’est cette tendance qui poussa presque tous les cantons à la fédération contre les Romains, tandis que l’oligarchie, le plus souvent amadouée et favorisée par César, était beaucoup plus disposée à s’entendre avec lui.

Ajoutons, comme dernier indice du sentiment national commun qui tendait à réunir les membres épars de la famille gauloise, que le souvenir des exploits accomplis dans les pays lointains, lors des expéditions des anciens chefs de bande, était devenu une sorte de patrimoine commun. Les chants des bardes avaient sans doute contribué à le propager partout. Un grand triomphe surtout flattait l’orgueil gaulois, d’autant plus que la puissance aux dépens de laquelle il avait été remporté était devenue plus illustre et plus redoutable. Sur toute la terre gauloise, on savait qu’un jour Rome elle-même avait dû laisser entrer les Celtes victorieux, racheter à prix d’or son Capitole et la liberté de ses derniers défenseurs. C’est le même souvenir qui pesait si douloureusement sur la fierté romaine et qui faisait de l’abaissement, de la conquête des Gaules, l’entreprise la plus propre à exciter l’enthousiasme du peuple romain. César savait bien ce qu’il faisait quand il se lança dans cette grande aventure, et ses ennemis du sénat le savaient-bien peu quand, dans l’espoir de s’en débarrasser, ils adjoignirent la Gaule transalpine à la cisalpine, dont le gouvernement militaire lui avait été assigné par le vote populaire. C’est surtout à ses victoires gauloises que César dut la popularité qui lui permit de substituer sa dictature à la république. La dangereuse confiance que les Gaulois puisaient dans les victoires de leurs ancêtres, — ils ne savaient rien, et pour cause, d’une intervention subite de Camille au moment où la rançon du Capitole allait être payée, — l’illusion qui leur faisait croire que le jour où ils le voudraient sérieusement ils viendraient à bout comme leurs pères des légions romaines, fut une des grandes causes des succès de César. Il fallut d’amères expériences pour convaincre les