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Une nationalité ne se forme pas sans un sentiment national préexistant. À son tour, nous l’avons vu de nos jours en Italie et en Allemagne, ce sentiment peut rester bien longtemps à l’état d’aspiration ou de rêve, jusqu’à ce que les circonstances viennent en hâter la réalisation. La nationalité gauloise allait en effet se constituer sous la menace de deux dangers qui faisaient aux Gaulois une nécessité de l’union, le danger qui venait des pillards d’outre-Rhin, appelés par les Séquanes (Franche-Comté) contre les Éduens et très disposés à se faire suivre par d’autres hordes, et celui dont la menaçait l’échancrure faite au midi et au sud-est par la Province romaine. La Gaule, unissant ses forces, eût rejeté facilement dans le Rhin Arioviste et ses bandes ; elle pouvait même espérer d’opposer à la même condition un obstacle infranchissable aux légions romaines. Le Germain et le Romain se trouvaient donc les deux facteurs de la nationalité gauloise, à peu près comme aujourd’hui l’Autriche et la France ont fait l’unité de l’Allemagne.

La Gaule, encore très primitive et grossière de mœurs quand on la comparait à l’Italie et à la Grèce, sortait pourtant déjà de la barbarie. Elle était riche en céréales et en bestiaux, cela ressort de nombreux passages des Commentaires. Tandis que César hésite à s’enfoncer dans la Germanie parce qu’il ne sait comment il nourrira ses troupes sur ce pauvre sol, nous le voyons en Gaule toujours certain de rassembler assez de blé et de viande pour se ravitailler. Bien avant lui, Annibal avait trouvé chez les Volques et les Allobroges les moyens de refaire ses approvisionnemens. Les Gaulois avaient découvert l’art de féconder les terres en les marnant. Déjà friands de bon pain, nos ancêtres avaient distingué et cultivé de préférence le bracé ou froment blanc et connaissaient le blé de mars, si précieux dans les régions septentrionales. Ils avaient ajouté deux petites roues en avant de la charrue primitive, progrès immense, permettant les labours profonds et réguliers, et inventé le tonneau de bois cerclé d’osier pour conserver les liquides. Ils faisaient aussi beaucoup de lin, et de bonne heure les toiles des Calétes, des Bituriges et des Morins acquirent une grande réputation de solidité. Ils avaient de belles races de chevaux, de moutons, de bœufs, dont Varron et Pline ont fait l’éloge. Leurs troupeaux de porcs étaient innombrables, grâce sans doute à la facilité qu’on trouvait à les nourrir avec les inépuisables glandées servies par les forêts. Plusieurs historiens romains vantent la charcuterie gauloise, et déjà la Gaule faisait un grand commerce de salaisons.

Cette abondance agricole et animale suppose une certaine stabilité, de grands défrichemens, des habitudes de travail régulier, un commencement de société bien réglée ; le bien-être et la richesse devaient venir à leur suite. On commençait à se servir de meubles,