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qu’on a trop pressé les termes de César quand on en a conclu qu’il y avait en Gaule trois nations séparées n’ayant pour ainsi dire rien de commun. La vérité est que de son temps, et d’un bout à l’autre de la Gaule on se sentait Celte ou Gaulois. L’armée de secours qui tâcha de dégager Vercingétorix bloqué dans alise se composait de contingens recrutés en Aquitaine, en Belgique, aussi bien qu’en Armorique et dans la Gaule centrale. On ne voit nulle part que la différence des idiomes ait été un obstacle aux négociations et aux luttes communes. César convoque à plusieurs reprises des conseils généraux de toute la Gaule, les complots contre sa domination se trament entre chefs gaulois venus de toutes les parties du territoire, et, quand le Belge Ambiorix veut expliquer aux envoyés de Titurius pourquoi il a dû, malgré ses sympathies antérieures pour les Romains, se joindre aux Gaulois conjurés contre l’invasion romaine, ad recuperandam communem libertatem, il leur dit que des Gaulois ne pouvaient aisément refuser à d’autres Gaulois la coopération qu’ils demandaient, non facile Gallos Gallis negare potuisse (Bell. Gall. V, 27).

Il y avait donc tout au moins dans l’ensemble de la Gaule le commencement de ce que nous appelons aujourd’hui la conscience nationale. Ce qui achève de le démontrer, c’est que, depuis un certain temps, la grande question qui s’agitait parmi les cantons les plus puissans était de savoir auquel d’entre eux reviendrait le principat de la Gaule entière. Comme dans l’Italie et l’Allemagne modernes, les membres existaient avant le corps, et plusieurs prétendaient être la tête. Il doit même y avoir eu dans les temps antérieurs à la conquête des essais plus ou moins heureux, plus ou moins prolongés, d’hégémonie gauloise tentés par quelques cantons. Par exemple, le père de Vercingétorix éleva un temps sa cité arverne à la suprématie. Ce fut ensuite le tour des Éduens, dont l’égoïste ambition fut si fatale à la Gaule. La secrète espérance des Helvètes, quand ils résolurent d’émigrer en masse pour se porter dans quelque fertile région entre Loire et Garonne, fut qu’une fois établis dans un pays abondant et central, il ne leur serait pas difficile de mettre à profit la supériorité militaire qu’ils s’attribuaient pour s’imposer en maîtres à toute la Gaule. Nous avons eu déjà lieu de soupçonner chez les druides les plus distingués une ambition du même genre, bien que reposant sur des calculs d’une tout autre nature. Tout cela serait complètement inexplicable, si l’idée de l’unité gauloise, si le désir de l’organiser, n’avaient pas été répandus depuis un temps assez long. Sans l’intervention romaine, il n’est pas douteux que des guerres auraient éclaté sur cette question de l’hégémonie. Le mieux armé, resté le dernier sur l’arène, fût devenu le premier du nouvel empire.