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le besoin de concilier les assertions de César à propos des druides avec son récit des événemens. La politique de l’ordre fut déterminée bien plutôt par le progrès de l’idée nationale qui lui inspira le désir d’en profiter. L’organisation régulière du druidisme avec ses trois classes de druides supérieurs, d’eubages ou devins et de bardes ou chantres, serait peut-être le seul résultat positif de cette ambition sacerdotale, qui resta parmi les pia vota. Il put très bien venir à l’esprit des plus habiles que l’unification désirée de la Gaule, impossible tant qu’on ne saurait pas à quel canton était due la prééminence, pourrait se faire au moyen de la corporation répandue partout.

Du reste, rien de plus obscur que la manière dont se maintint la centralisation du sacerdoce dispersé. Peut-être fut-elle loin d’être aussi complète que les historiens latins l’ont cru. Il y a dans le druidisme et dans la religion des Gaulois en général des particularités, des bizarreries locales, qui s’accordent mal avec l’idée d’un clergé unique, en possession de cadres réguliers, enseignant partout une doctrine identique. M. de Belloguet, dans le savant et indigeste ouvrage qu’il a consacré aux antiquités de la Gaule, traite avec dédain l’assertion, pourtant positive, de quelques écrivains parlant de la chaussure pentagonale qui aurait distingué les druides. Admettons que, si cette marque distinctive eût été générale, elle aurait frappé tous ceux qui nous auraient parlé des prêtres gaulois; mais il est d’une parfaite vraisemblance que les « fils du dieu souterrain,» de Dis et de Ceridwen, qui flotte comme un cygne sur la baignoire immense de l’Océan, aient aimé çà et là à se donner des pieds palmés pour symboliser leur descendance. L’idée du pied d’oie ou de cygne, caractéristique des elfes et des nains dans les vieilles légendes, pourrait bien venir de là ou du moins se rattacher à une conception analogue.

Quoi qu’il en soit, il est certain que César ne rencontra pas dans le druidisme un obstacle sérieux à ses vues de conquête. C’est un autre élément moral de l’agglomération gauloise qui, après avoir facilité ses premières tentatives, faillit à plusieurs reprises faire échouer ses vastes projets. Il eut affaire au patriotisme gaulois commençant à prendre conscience de lui-même, au sentiment déjà formé de l’unité nationale et de la solidarité des intérêts communs à toute la Gaule. Si celle-ci eût pu rester unie, la fortune de César eût sombré dans un désastre irréparable. César, dans son intérêt, fit bien de se hâter. Une vigoureuse nation allait naître de la Gaule si longtemps divisée en peuplades rivales, jalouses l’une de l’autre. César arriva juste à temps pour étouffer l’enfant au berceau. Ce côté purement politique de l’histoire finale de la Gaule mérite qu’on s’arrête quelque temps à l’étudier.