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serait donc fort tenté de se représenter le druidisme au temps de César comme un sacerdoce qui avait su se donner une organisation assez étendue, encore puissant dans l’esprit des basses classes de certaines régions, mais ayant perdu son prestige religieux aux yeux de l’aristocratie, qui s’en sert simplement, là où il peut encore servir, comme d’un moyen de conserver son autorité; mais ce n’est ni partout ni toujours, et la hiérarchie rigoureuse, l’organisation compliquée, le pouvoir terrible, qu’on a si longtemps attribués à cette corporation doivent, selon toute apparence, rejoindre sa métaphysique raffinée dans le vaste tombeau des illusions historiques.

N’allons pas toutefois au-delà des faits avérés. Il y avait une idée puissante et très élevée dans la religion druidique, d’autant plus qu’elle doit remonter jusqu’à ses premières origines, puisqu’elle en fait l’âme et le principe fondamental. Ce n’était pas le dogme monothéiste. Partout le monothéisme arrive à la fin d’un développement; nulle part, pas même chez les Israélites, il n’est originel. La grande idée druidique, c’était celle de l’immortalité personnelle. Sur ce point, le druidisme ne le cède à aucune religion de l’antiquité, on peut même dire qu’à l’exception de la religion égyptienne il les dépasse toutes. Sans doute il ne fut en cela que l’organe des intuitions populaires dont il était sorti lui-même. Il en est de même au fond de toutes les croyances proclamées par les divers sacerdoces. Rien de plus positif, de plus ferme que la foi des populations druidiques dans la vie future. Elle est attestée par tout ce que nous savons des coutumes religieuses gauloises, en particulier par le soin qu’on prenait d’enterrer avec les morts les armes et les objets dont on pensait qu’ils auraient besoin dans le monde supérieur. Dans les anciens temps, on y joignait leurs chevaux, leurs esclaves, leurs femmes. Cette coutume était déjà tombée en désuétude lorsque César vint dans les Gaules, mais on se la rappelait encore très nettement. Cette croyance n’est pas moins confirmée par la naïve confiance avec laquelle on contractait des dettes avec la clause de les rembourser dans la vie future. On adressait même aux morts des messages écrits qu’on jetait dans leur bûcher. Puisque dans toute religion, même la plus grossière, il y a toujours une idée transcendante, on peut dire que c’est cette idée-là qui fait la valeur, la vraie noblesse du druidisme. C’est elle qui explique la superstition du gui, cet arbuste d’une vitalité si robuste qu’il défie la mort périodique de la végétation, et que seul, dans les forêts de chênes et de pommiers sauvages, il conserve en hiver sa verdure triomphante. Quand aujourd’hui, dans les ports de la Manche, on voit embarquer quelques jours avant Noël de véritables cargaisons de gui à destination