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près nues de corps et d’esprit. Au temps de César, pour des raisons qu’on peut conjecturer, leur autorité paraît très diminuée. C’est dans l’île de Bretagne, moins avancée à tous égards que la Gaule continentale, qu’il faut aller pour s’initier à leur enseignement authentique. Plus tard, c’est notre Armorique, le pays de Galles, l’Irlande, les régions du celtisme le plus dur à entamer, qui leur serviront de retraites suprêmes. Ils enseignent qu’ils sont les enfans de Dis, du dieu souterrain, ce qui est une manière de dire qu’ils se considèrent comme sortis du sol lui-même.

Quelques indices concourent à désigner le pays chartrain (Carnutes) et les grandes forêts qui descendaient vers la Loire comme le lieu d’origine de cet étrange sacerdoce. C’est là, nous dit César, que les druides tenaient leurs assises annuelles. Ils prétendaient que cette région était le centre même de la Gaule. D’où a pu venir cette idée contraire aux faits, si ce n’est de ce que ce pays chartrain fut celui d’où ils partirent pour se répandre dans toutes les directions? Si quelque compagnie de sorciers-devins, comme il s’en trouve chez tous les peuples enfans, joignant à une grande renommée divinatoire l’emploi traditionnel des simples et quelques pratiques chirurgicales, s’est constituée un jour à l’ombre des grandes chênaies, elle a pu rayonner de là sur toutes les peuplades environnantes et se voir recherchée par les anciens cultivateurs du sol ainsi que par les nouveaux arrivans. La préoccupation de la vie, de ce qui la conserve ou la détruit, engendre une médecine élémentaire, et tel est précisément le point de vue fondamental de la religion druidique. Les avantages que la société retirait d’un pareil prestige la poussèrent à se constituer en corporation, à s’organiser hiérarchiquement, à se mêler, sans se confondre avec elle, à la masse des cultivateurs et des guerriers. Le besoin qu’on avait d’elle, le genre de crainte superstitieuse qu’elle inspirait, lui valut des privilèges tels que l’exemption de l’impôt et du service militaire. Comme la médecine et la chirurgie dans leurs premiers essais ne se distinguent pas de la magie, leur exercice suppose aussi une certaine doctrine religieuse. Les druides portèrent donc à travers la Gaule les croyances du canton d’origine, sans pour cela com- battre les religions locales, qui s’amalgamèrent avec la leur à peu près comme les cultes locaux de l’ancienne Grèce s’harmonisèrent tant bien que mal avec la mythologie partie du mont Olympe. On pourrait, sans dépasser les limites de l’hypothèse raisonnable, attribuer à cette corporation une influence positive sur les idiomes, qu’elle tendait à fondre dans une espèce de celtisme classique, et sur l’essor du sentiment de l’unité nationale. Rien n’empêche non plus d’admettre que, passant pour des savans profonds, les druides ont été habituellement consultés sur la manière de pourvoir aux