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mise à la portée de tous. Les défauts que nous nous croyons en droit de lui reprocher modifient, sans la détruire, la bonne impression que sa lecture nous laisse. Le principal de ces défauts, selon nous, et il en souffre en très bonne compagnie, c’est qu’il accepte trop aisément les idées exagérées que l’on s’est faites de l’ordre et de la religion des druides. Que n’a-t-on pas attribué de mérites et de sapience à ces prêtres de la forêt! Depuis les anciens, qui en firent les inspirateurs de Pythagore, jusqu’aux modernes qui les ont gratifiés d’une doctrine transcendante sur la foi de tercets trahissant l’influence prolongée de l’Alexandrin Origène, on n’a pas cessé de les transfigurer en profonds penseurs qui auraient devancé les spéculations les plus ardues de la métaphysique. L’histoire comparée des religions n’est pas favorable aux opinions nourries si longtemps sur le compte des vieux sacerdoces. Creuzer a lourdement compromis, en donnant en plein dans cette illusion, la réputation qu’il méritait à tant d’autres égards d’avoir renouvelé dans notre siècle l’étude de la mythologie. Lui et ses premiers disciples n’ont pas compris la part énorme qu’il faut faire à la naïveté dans les conceptions religieuses de l’antiquité reculée. En fait, plus la science avance, plus elle découvre que le bagage philosophique des vieux sacerdoces est tout ce qu’on peut concevoir de plus léger. Défions-nous toujours des sociétés et des corporations qui s’entourent de mystère. On est toujours tenté de leur attribuer des secrets merveilleux, et il se trouve régulièrement que, depuis les prêtres d’Egypte jusqu’aux francs-maçons de nos jours, leur grand secret consiste à n’en pas avoir. Si des individus, membres de ces anciens sacerdoces, du brahmanisme, par exemple, ont pu atteindre aux sommets les plus éthérés de la pensée, ce n’est pas dans leurs traditions sacerdotales qu’ils ont puisé leurs doctrines abstruses; bien au contraire, ils les y ont introduites, ils ont tâché de les mouler dans les formes de la foi populaire, ils n’ont pas, en les développant, commenté le dépôt traditionnel, c’est une philosophie qu’ils ont plaquée par-dessus. Encore faut-il ajouter que ces philosophes-prêtres ont été précédés, préparés, soutenus, par toute une civilisation qui a toujours manqué au druidisme.

En se fondant sur quelques indices permettant de supposer qu’environ 600 ou 700 ans avant notre ère la Gaule fut envahie par une puissante immigration qui venait d’Asie à travers l’Europe centrale, on a voulu que les druides, arrivés avec elle, fussent les cousins germains des prêtres hindous. Conjecture gratuite et invraisemblable ! Si l’on ose affirmer quelque chose en raisonnant par analogie, il est infiniment plus probable que le druidisme est un fruit autochthone, c’est-à-dire qu’il est antérieur aux invasions qui ont laissé dans l’histoire quelques traces de leur arrivée. C’est à vraiment