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suppose qu’on aimait à en causer. On tenait à être promptement renseigné, et, chose remarquable quand on pense à l’absence de centralisation, les Gaulois avaient su organiser une espèce de téléphonie ou télégraphie vocale, qui, des vallons aux collines, à travers les bois, les marais et les fleuves, transmettait la nouvelle des événemens avec une célérité merveilleuse jusqu’aux extrémités de la Gaule[1]. Il fallait que tout le monde s’y prêtât. Cette vivacité d’imagination produisait aussi, non pas de grands artistes, la Gaule étant encore trop barbare à cette époque, mais de très habiles ouvriers qui s’assimilaient avec une étonnante rapidité les procédés de l’industrie civilisée.

Si nous ajoutons à ces traits divers un singulier mélange de scepticisme religieux, relevé par Cicéron, et de superstition routinière, affirmée par César, de mœurs chevaleresques et de facile cruauté, l’extrême confiance en soi, le dédain de l’étranger, qu’on ne cherche guère à connaître, à moins qu’il ne vienne se présenter lui-même, plus de foi dans l’inspiration du moment décisif que dans les règles de la stratégie savante, — nous obtenons une physionomie morale qui n’a rien de flatté, il faut le reconnaître, mais dont nous serions mal venus à nier la ressemblance avec celle qu’on nous prête aujourd’hui.

Il convient toutefois d’observer que les écrivains de l’antiquité ont plus d’une fois rangé parmi les traits du caractère gaulois ce qui s’est retrouvé régulièrement chez tous les peuples encore barbares ou sortant à peine de la barbarie. On a reproché par exemple aux Gaulois leur jactance, leur gloutonnerie, le penchant à l’ivrognerie, la soif du pillage, toutes choses qu’on devait reprocher par la suite aux Germains et aux autres peuples tard venus à mesure qu’on apprenait à les connaître. Ce sont là des traits transitoires comme l’état social qu’ils supposent. Toujours on pourrait répondre aux auteurs qui les relèvent à la charge de nos ancêtres que leurs pères à eux-mêmes ont passé par là ; quelquefois on pense à la parabole du brin de paille et de la poutre.

Comparé à l’homme civilisé, le barbare est toujours un grand enfant. Insouciant du péril, narguant son ennemi, il se complaît dans des fanfaronnades, des gestes insultans[2], des gambades, souvent aussi des imprudences gratuites, inspirées par le désir de se distinguer aux yeux de ses camarades. Les Romains des premières

  1. La nouvelle de la prise de Genabum (Orléans) par les Carnutes était connue des Arvernes avant la fin de la journée, transmise à grand cri, dit César, clamore per agros regionesque. La distance à vol d’oiseau dépasse cinquante lieues.
  2. Le geste de dédain, si connu de nos gamins, et qui consiste à relever les doigts en faisant décrire un demi-cercle à la main appuyée sur la pointe du pouce, remonte à la vieille Gaule. Je ne l’ai jamais remarque hors des frontières de la langue française.