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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

vainqueur. A gauche de l’estuaire s’avance une roche dont la masse énorme, s’effeuillant par larges plaques, présente à l’œil une surface nue comme une table de marbre : c’est elle qui, si malheureusement, arrête le sable à l’entrée du port; en 1857, les ingénieurs du gouvernement essayèrent de la faire sauter, mais sans grand succès. Quant à Motrico, qui déjà confine à la province de Vizcaye, quoiqu’il n’ait pas à craindre la même cause de ruine, son port aussi a beaucoup souffert de la guerre ; les jetées surtout sont dans un état pitoyable. D’ailleurs la ville est fort curieusement groupée sur le penchant d’une colline qui regarde la mer, et la beauté de ses promenades, l’étendue de son enceinte, le nombre et la magnificence de ses maisons neuves, l’originalité de ses vieilles tours, éclairées d’ouvertures géminées où se retrouve l’influence arabe, attestent un passé qui ne fut pas sans gloire et une prospérité qui n’a point encore disparu.

Par hasard un petit caboteur, de passage à Motrico, repartait au point du jour pour Saint-Sébastien; j’allai trouver le patron, qui très volontiers me prit à son bord. De la sorte, au désagrément du retour par la même route je substituais l’imprévu d’une délicieuse promenade en mer. La barque, toutes voiles au vent, filait avec rapidité, coupant droit le flot qu’agitait à peine un balancement régulier; çà et là quelque vague, plus impatiente que les autres, élevait sa crête écumeuse, miroitait un moment au soleil avec des reflets changeans, mêlés d’argent, d’azur et d’or, et soudain s’affaissait. Nous restions toujours en vue de la côte, et dans ce demi-brouillard, produit à la fois par l’éloignement et par l’évaporation de la mer, je prenais plaisir à reconnaître les lieux que j’avais traversés naguère : Zumaya l’inhospitalière, comme une chauve-souris cramponnée au rocher; Zarauz, la protégée des rois, mollement couchée sur sa plage. Au soir nous jetions l’ancre dans le port de Saint-Sébastien, situé tout au pied du mont Orgullo, où s’élève la citadelle. On n’a plus à décrire Saint-Sébastien. Autant et plus qu’une ville espagnole, c’est une ville française ou, pour mieux dire, cosmopolite. Ses rues dallées, larges et droites, ses hautes maisons de pierre, la plupart occupées par des hôtels ou des cafés, ses magasins éclatans, ses enseignes en langues multiples, ses promenades, qui tiennent la place des anciens remparts, récemment démolis, sa plage, une des plus vastes du monde, couverte de cabines qui sont comme une cité nouvelle, sa régularité, sa blancheur, lui donnent l’air coquet, élégant et mondain, mais un peu banal et déjà vu de toutes les grandes stations balnéaires. Aussi bien la frontière est proche, et le chemin de fer de Bayonne à Madrid la met en relations constantes avec nos départemens du midi, et par eux avec le reste de l’Europe? les noms mêmes, à partir d’ici, n’ont pas besoin