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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

d’un mur de pierres sèches ; des assises de même sorte le sillonnent de long en large et préviennent l’éboulement du terrain ; pour y arriver, il faut s’aider vaillamment des genoux et des mains, et au moment de la récolte le cultivateur, à chaque coup de faucille, est obligé de chercher un point d’appui, sous peine de rouler dans le torrent voisin. Au besoin, le Guipuzcoan saura se créer un champ sur la roche nue ; de jeunes enfans s’occupent pendant la journée à ramasser dans des corbeilles de jonc la poussière des grandes routes ou l’humus entraîné au fond des ravins ; cette terre est portée précieusement dans les moindres anfractuosités de la montagne ; on l’arrose, on la tasse, on construit pour la maintenir un petit rempart d’éclats de roc, et cela fait aux deux côtés du chemin comme autant de jardinets suspendus où les grains de maïs sont semés un par un. Tel est l’aspect du paysage jusqu’à Vergara, dont le nom rappelle le convenio qui termina la guerre civile de sept ans. Dans l’angle formé par le cours de la Deva et la route en se séparant, au centre d’une petite plaine semée de blé et de fèves, se voit un espace rond inculte où croissent en liberté les herbes et les broussailles ; c’est là que le 31 août 1839, au matin, Espartero et Maroto, les deux commandans en chef des armées ennemies, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre et s’embrassèrent aux acclamations répétées de leurs soldats. Ce souvenir fait aujourd’hui l’unique intérêt de la ville.

Pendant le cours de mon voyage à travers les provinces, je n’avais garde de négliger tout ce qui pouvait me donner de l’état religieux des populations l’idée la plus complète et la plus exacte. On a tant parlé du fanatisme des Basques, ils se sont eux-mêmes déclarés si haut les défenseurs de la foi, l’influence du clergé a été si visible et si permanente dans tous les événemens accomplis là-bas depuis cinquante ans, qu’on ne saurait trop éclaircir la question. Jaloux de rattacher les origines de la race euskarienne à la naissance même de l’humanité et aux traditions de la Bible, les anciens auteurs indigènes ont prétendu que le nord de la Péninsule fut primitivement peuplé par le patriarche Tubal, petit-fils de Noé ; c’est de lui que ses descendans auraient reçu, avec leur langue, la même que parlaient Adam et Eve au paradis terrestre, la connaissance du vrai Dieu et le culte de la croix, dont ils se servaient comme emblème dans les combats bien avant la venue du Christ. Il n’y a pas à discuter de pareilles naïvetés. Quelle que soit du reste l’origine des Basques et bien que le fondement de leur ancienne religion paraisse avoir été le culte d’un Être tout-puissant qu’ils appelaient le Jaun-Goicoa ou « maître des hauteurs, » il faut croire que bien des superstitions polythéistes y étaient mêlées. C’est au