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VOYAGE DANS LE PAYS BASQUE.

leur nom, le style jésuite? Encore s’ils s’étaient bornés à élever dans ce goût des monumens nouveaux, mais ils ont porté la main sur les chefs-d’œuvre du passé ! Que de nobles basiliques ainsi profanées! Que de portiques néo-grecs et de clochers carrés pesant sur des murs du XIIIe siècle! Que de retables, odieusement dorés, masquant les vieilles verrières ogivales! Et tel est le vide de cet art, telle est l’incurable impuissance dont il est frappé qu’ici même, dans ce sanctuaire qu’ils voulaient faire et si vaste et si beau en l’honneur de leur illustre chef et fondateur, ils n’ont su qu’entasser le marbre sur la pierre et frapper les yeux sans parler au cœur.

Aussi bien n’est-ce pas de l’importance d’un monument ni d’autres choses de ce genre que dépend la véritable gloire de Loyola ou la grandeur de l’ordre qu’il a fondé. Plus que le gigantesque portail de l’église et les décors de la chapelle, ce qu’on admire en ces lieux, ce qu’on y vient chercher, c’est cette grande figure du saint dont l’ombre plane encore sur tout le monde chrétien. Il naquit en 1491 de parens nobles dont il était le huitième enfant. On connaît son histoire, sa jeunesse à la cour des rois catholiques, sa vie aventureuse, jusqu’au jour où, enfermé dans Pampelune et devenu le chef de la résistance contre les Français, il tomba la jambe droite brisée par un boulet. On le transporta au château de sa famille, dans la chambre même où est aujourd’hui la chapelle. Il commençait à guérir, quand, s’apercevant que sa jambe risquait de rester tordue, il donna l’ordre de la briser de nouveau ; il n’en boita pas moins toute sa vie, à son grand déplaisir. Sa première éducation avait été fort négligée : à Loyola, pour se distraire, il demanda des livres; dans ce pays perdu, on ne put lui procurer que des ouvrages de piété, la Vie de Jésus-Christ, la Fleur des Saints. L’effet sur lui fut soudain. Avec la même ardeur orageuse dont il s’était livré aux passions mondaines, il se donna aux choses de la religion et de la foi ; il résolut de renoncer au métier des armes et de se consacrer tout entier à Dieu. Nous ne le suivrons pas dans ses pérégrinations en Italie, en Palestine, à Paris, où, vieil écolier de trente-cinq ans, il venait sur les bancs du collège Montaigu et plus tard, au collège Sainte-Barbe, continuer ses tardives études, et où il devait rencontrer ses premiers auxiliaires dans l’œuvre hardie qu’il méditait. «Il avait pour jamais déposé son épée; mais il était resté soldat, comme on l’a dit, soldat de l’église, soldat de Rome contre l’hérésie, non plus avec les armes des Simon de Montfort et des Dominique, mais avec celles des temps nouveaux : la propagande active, incessante, fiévreuse des livres, de la chaire, du confessionnal et de l’enseignement. Cet esprit inculte, opiniâtre et visionnaire, nourrissait une idée qui, par sa fixité, lui tenait lieu de génie : mettre