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brodée des diacres, la tête légèrement inclinée et les yeux perdus dans l’extase. Ce jour-là, il était fort difficile de franchir le seuil, tant était grande la foule des femmes et des hommes agenouillés sur les dalles nues; les pieuses gens étaient venus apporter à leur saint patron leurs offrandes avec leurs prières; les pièces de monnaie, réaux d’argent, cuartos de cuivre, lancés à travers la grille, — car les prêtres ne font point la quête en Espagne, — et tombant en grêle au pied de l’autel, mêlaient un cliquetis métallique et continu au bourdonnement des oraisons récitées à voix basse. Évidemment, s’il suffisait, pour captiver l’attention, d’un luxe mondain et criard, la chapelle de Loyola ne laisserait rien à reprendre; les murs et le plafond disparaissent littéralement sous les dorures, les peintures, les glaces et les émaux; colonnes torses, nuages moutonnans, chérubins joufflus, draperies de stuc retombant en plis lourds, chicorées et palmes, flammes et volutes, urnes et cassolettes, tout le bagage connu de l’ornementation rococo s’étale et s’épanouit là sans partage ; mais tant de richesse étonne plus qu’elle ne plaît, et je ne comprends pas pour ma part ce que le sentiment religieux peut gagner à ces extravagances décoratives.

L’église elle-même m’a causé une impression analogue. Elle forme une rotonde de 36 mètres de circonférence au centre de laquelle s’élèvent huit grandes colonnes qui supportent la coupole; cette coupole, toute en pierres, est éclairée par huit fenêtres, et la lanterne n’atteint pas moins de 56 mètres de hauteur. Quand j’y entrai, la grand’messe venait de commencer; nul moment ne pouvait être mieux choisi : l’autel resplendissait de lumières, et la voix grave de l’orgue, unie aux accords du plain-chant, montait et roulait sous la voûte avec des flots d’encens. D’où vient que l’édifice me parut en somme dépourvu de caractère et de vraie grandeur? Ce n’est point que la dépense y ait été ménagée : là aussi les marbres précieux, l’or, les cristaux, les mosaïques abondent; mais partout le résultat est demeuré visiblement au-dessous de l’effort, et sous la profusion des ornemens on sent trop la stérilité de l’idée créatrice. Il y aurait bien des choses à dire à propos de l’influence qu’ont exercée les jésuites depuis trois siècles, influence très réelle, sinon très heureuse, sur toutes les branches et toutes les productions de l’esprit humain. De la littérature, je ne veux rien dire; mais dans les arts, en sculpture, en architecture, ils ont apporté le goût le plus faux et le plus déplorable; en Espagne surtout, où le génie national penchait d’instinct vers l’enflure et l’exagération, ils ont encore aggravé la tendance. Qui donc plus qu’eux a contribué à répandre ce style bâtard, imité pour l’ensemble de l’antique et pour le détail du gothique flamboyant, tout fait de mièvrerie, de fausse élégance et de prétention, et qui a mérité d’être appelé de