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combien n’est-il pas de nos contemporains qui n’ont jamais entendu prononcer encore le nom d’Adélaïde, aussi célèbre dans toute l’Australie sous le nom de cité des farines que le sont en Amérique New-York, sous l’appellation peu républicaine de ville empire, et Chicago, sous le nom de ville des prairies ! En dehors de la découverte et de la prise de possession d’un sol muet depuis la création et où il ne fut jamais tenu registre du temps avant l’arrivée des Européens, quelle peut être l’histoire d’un pays dont la population importée de notre siècle est d’un chiffre encore si faible qu’à l’exception de quelques grands centres hâtivement formés tous les voyageurs nous la montrent clair-semée sur un espace immense, sans aucune de ces occasions d’antagonisme qui donnent naissance à la vie morale, et pour bien longtemps encore exclusivement occupée de travaux et d’intérêts qui se rapportent plutôt aux préoccupations du statisticien et de l’économiste qu’à celles du philosophe et de l’historien. L’Australie a un passé cependant, toute jeune qu’elle est, un passé des plus exceptionnels, qui se recommande de lui-même à la curiosité de l’observateur, et qu’un véritable artiste même, s’il en naît quelqu’un dans ces lointains antipodes, ne trouvera peut-être pas indigne de ses couleurs de peintre et de sa science de narrateur.

Aperçu dans les premières années du XVIIe siècle par les navigateurs portugais et espagnols, le continent australien fut une découverte des Hollandais, et c’est en toute vérité et en toute justice qu’il a porté pendant longtemps et qu’on lui donne encore quelquefois le nom de Nouvelle-Hollande. Pendant tout le XVIIe siècle, les marins néerlandais se succédèrent, touchant tantôt un point, tantôt un autre, Verschoor le cap York, l’extrémité nord de ce qui est aujourd’hui la colonie de Queensland, Carpenter les régions septentrionales, où il a laissé son nom au golfe de Carpentaria, Pierre Nuyts la côte du sud, Abel Tasman la grande ile qui porte son nom et la Nouvelle-Zélande, — mais tout cela, il faut le dire, sans plan bien conçu, sans efforts combinés, sans esprit de suite dans les entreprises, en sorte que tous leurs travaux ne furent qu’une série d’énergiques tâtonnemens et n’eurent qu’une médiocre importance pour leur pays. Une autre cause semble encore avoir frappé leurs entreprises de stérilité, c’est qu’ils y portèrent cette proverbiale taciturnité et cette jalouse défiance qui distinguent le caractère de leur nation, et ces défauts, qui en tant d’autres occasions furent d’une utilité de premier ordre à leurs concitoyens, furent en celle-là sans avantages. Dans la crainte de faire la fortune de futurs explorateurs, ils gardèrent le silence le plus profond qu’ils purent sur leurs découvertes, ne publièrent pas de relations de leurs voyages, n’essayèrent pas de dresser les cartes des contrées qu’ils avaient visitées et des mers qu’ils avaient parcourues ; en un mot, ils