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au pâturage, au lavoir, à la tonte, à la chaudière où on le fait bouillir pour lui arracher son suif, au laboratoire où on le met en conserves. Et il ne s’est pas contenté d’un seul modèle, il a épuisé tous ceux que les colonies pouvaient lui offrir : il a vu son mouton dans la Nouvelle-Galles du sud après Queensland, dans Victoria après la Nouvelle-Galles du sud, en Tasmanie après Victoria, dans l’Australie de l’ouest, dans l’Australie du sud. Comme il est bien entendu que ce que nous disons du mouton s’applique aussi à son propriétaire, nous n’avons pas besoin d’insister pour faire comprendre quel est le genre de mérite du livre de M. Trollope, et quels sont les défauts qu’on peut lui reprocher. Le principal est une répétition fréquente des mêmes détails, qui résulte de la manière dont il a composé son tableau. Comme il a traité séparément de chacune de ces six colonies qui ont toutes le même passé, les mêmes institutions et les mêmes occupations, il a été obligé de faire retour à chaque instant aux sujets déjà traités précédemment. Il lui a donc fallu parler du gouvernement colonial, du régime de la terre, de la vie des squatters et des free selecters, de la laine et de l’or autant de fois qu’il y a de colonies. En dépit de ces défauts cependant, ce livre est un des plus complets que l’on ait publiés sur l’Australie, et celui qui déroule, sinon avec le plus de vivacité, au moins avec le plus d’ampleur, le spectacle de la prospérité de cette magnifique colonie. Il abonde en faits curieux ou peu connus qui jettent une lumière nouvelle sur les circonstances anciennes des colonies australiennes et les font mieux comprendre, et en détails minutieux qui permettent de mesurer avec plus de précision la richesse du présent. Ce sont ces faits et ces détails que nous voudrions en extraire et présenter aux lecteurs de la Revue pour les faire bénéficier de l’instruction qu’ils peuvent donner et qu’ils nous ont donnée à nous-même. Dans la situation actuelle de notre inquiet continent, il y a pour tous les Européens mieux qu’un intérêt de curiosité à tout connaître de ces heureuses terres lointaines où tant de milliers de leurs compatriotes pourront pendant un si long temps aller jouir avec sécurité de tous les bienfaits de la civilisation dont ils auront fui les maux.


I. — LE PASSE AUSTRALIEN. — CONVICTS ET ABORIGENES.

Le passé australien ! voilà une expression qui peut sembler presque ambitieuse, car nous avons vu, pour ainsi dire, éclore les colonies australiennes, et, aussitôt écloses, elles se sont développées avec une spontanéité telle que la distance entre la naissance et l’âge adulte en a été supprimée. C’est à peine si nos pères eurent le temps de se familiariser avec le nom de Sydney ; Melbourne, une des plus grandes villes du monde, est positivement d’hier, et