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de la même chose et de conjurer de ma part le coadjuteur à ne s’exposer pas et de vouloir, pour l’amour de lui et de ses amis, être véritablement poltron[1] ; car viendra le temps qu’il faudra quitter cette qualité; mais de la manière qu’on se veut battre avec lui, son honneur ne sera pas blessé s’il refuse le combat. » Il était glorieux pour Retz d’avoir été jugé digne d’être traité en prisonnier de guerre par le plus grand capitaine du siècle, et l’intrépidité dont il faisait preuve au milieu du danger arrachait à Mazarin lui-même quelques mots d’admiration,


III.

Rien de plus étrange, de plus curieux et, disons-le, de moins connu que les négociations qui, pendant ce laps de temps, furent échangées entre Mazarin et le coadjuteur. Du fond de son exil, le cardinal avait organisé avec la reine, la princesse palatine et quelques-uns de ses affidés une correspondance chiffrée et suivie dont on n’a publié qu’une partie. Nous mettrons sous les yeux du lecteur de nombreux passages de ces lettres inédites. Tous les personnages dont parle Mazarin y sont désignés par un signe de convention, ou par un nombre, ou par un surnom, ou même par plusieurs surnoms. Anne d’Autriche, par exemple, y est nommée le Séraphin, le coadjuteur le Muet (à cause du rôle de muet qu’il jouait alors en public), ou bien encore le Poltron, ce qui était à coup sûr la meilleure manière de déguiser son nom; la princesse palatine s’y nommait l’Ange Gabriel, surnom assez plaisant, lorsque l’on songe aux relations qui existaient alors entre la princesse et le coadjuteur. Elles ne se bornaient point à la politique, s’il faut en croire le malin Joly, l’inséparable compagnon des expéditions nocturnes du prélat, en dehors de l’hôtel de Chevreuse, qui était un peu négligé à cette date. Il n’est pas douteux qu’Anne de Gonzague, sans cesse mêlée à cette correspondance de la manière la plus intime, n’ait rendu au coadjuteur un service capital dans l’affaire du chapeau par les soins infinis qu’elle se donna pour endormir l’ombrageux ministre, Mazarin adressait lettres sur lettres à cette princesse et à la reine afin de leur demander d’unir leurs instances auprès du coadjuteur pour qu’il consentît à une entrevue avec lui sur la frontière. Il ne cessait de prodiguer au prélat les plus douces caresses, de l’entretenir dans l’espoir qu’il serait bientôt cardinal; il allait jusqu’à lui promettre le partage du ministère. Mais le coadjuteur, qui connaissait à fond le personnage, et qui craignait avec raison qu’une telle

  1. C’était le nom de guerre que Mazarin donnait au coadjuteur dans sa correspondance chiffrée.