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question est d’autant plus complexe et délicate que le plus souvent elle n’est pas soumise à des règles fixes. Quelle que soit la coutume locale, que la distribution des terres se fasse par âme et par tête mâle ou par ménage et tiaglo, elle se fait rarement d’une manière mécanique, selon une proportion mathématique et un barème inflexible. Le nombre des habitans, des familles ou des unités de travail n’est presque nulle part la seule et unique base de la répartition de la terre et de l’impôt. Les considérations d’âge, de santé, de richesse, jouent un grand rôle dans tous les partages de cette sorte[1]. La distribution du domaine commun ne se fait pas, comme dans nos sociétés anonymes, par titre d’action et part de propriété; elle s’y fait plutôt comme dans une famille où l’on chercherait à compenser les avantages naturels des uns et des autres, et à donner à chacun une part proportionnelle à ses forces et à ses aptitudes. Cette manière de tenir compte de la situation personnelle de chacun donne parfois au mir un rôle singulièrement compliqué et difficile. Sous prétexte d’être plus équitable, ce système ouvre parfois la porte à l’injustice et donne en tout cas accès à l’arbitraire. L’assemblée de village discute, pèse, tranche les prétentions et les réclamations de chacun. Souveraine et omnipotente en tout ce qui concerne les époques et le mode de partage des terres, l’assemblée en décide sans appel comme sans contrôle. Sa compétence même est, comme son autorité, d’autant plus étendue que les bornes en sont plutôt marquées par la coutume que par la loi. L’autorité de la commune appuyée sur la propriété collective suit le paysan dans toute sa vie, dans ses travaux et son économie rurale, dans le khoziaistvo, comme disent les Russes; elle s’arrête à peine aux portes du foyer domestique, car il faut son consentement pour opérer les partages de familles.

Nulle part peut-être en Europe ou en Amérique la commune n’a vis-à-vis du pouvoir central une telle autonomie, nulle part assurément elle n’a sur ses membres une telle puissance. C’est là le double caractère de la commune russe, aucune n’est aussi peu gouvernée du dehors et autant gouvernée en dedans, aucune n’est plus indépendante et ne laisse à ses membres moins d’indépendance. Toutes les franchises, tous les droits, sont pour la communauté et non pour l’individu. La libre constitution du mir rappelle

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1876. — M. Mackenzie Wallace insiste beaucoup sur ces pratiques et en donne des exemples. A côté de cela se rencontre des actes d’un esprit opposé, par exemple l’habitude de beaucoup de communes de distribuer les fonds de secours par têtes d’habitans, en inscrivant sur la liste des gens à secourir les plus riches paysans du village. — Voyez Dmitrief, Revolutsionny conservatizm, p. 97.