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les conduisit à l’hôpital de Notre-Dame de la Pitié. Au moment où il fut assassiné, Gustave Chaudey avait sur lui un rouleau de 1,000 francs, une montre en or, deux alliances ; les hommes qui avaient aidé Raoul Rigault estimèrent que ces objets étaient la juste rémunération de leur travail et s’en emparèrent. Le lendemain matin, malgré la bataille alors engagée dans presque toutes les rues de Paris, Mme Chaudey, accompagnée de son enfant, se présenta dès neuf heures du matin au greffe de la prison, elle demanda à voir son mari ; par ordre d’Augustin Ranvier, on lui répondit qu’il avait été, pendant la nuit, transféré à la préfecture de police.

Le mercredi 24 mai, à deux heures de l’après-midi, Augustin Ranvier, Gentil, Clément et Préau de Védel, armés de fusils chasse-pot, la ceinture de laine rouge à la taille, sortirent de Sainte-Pélagie et n’y reparurent plus. Le sous-brigadier Villemin prit alors la direction de la prison, fit abattre le drapeau rouge qui en maculait la façade, et parvint, non sans quelque difficulté, à nourrir les détenus. La journée du 25 fut encore pleine d’anxiété, mais le 26, à l’aube, on se sentit définitivement sauvé en voyant entrer un peloton de soldats appartenant à l’armée régulière. Les transes avaient été vives, car le bruit persistant du quartier était que les caves du Panthéon, chargées de poudre, seraient incendiées par les fédérés dès qu’ils seraient forcés de battre en retraite ; dans ce cas, Sainte-Pélagie et les maisons voisines eussent certainement été détruites par l’explosion. Celle de la poudrière du Luxembourg, que « les Graves fédérés de la rue Vavin font éclater, » dit Lissagaray (Histoire de la Commune), ébranla le 24 mai la vieille prison, mais ne la renversa pas.

Raoul Rigault ne survécut pas longtemps à Chaudey ; le meurtre n’était pas commis depuis vingt-quatre heures que déjà l’assassin était puni et avait rejoint sa victime. Très prudent, malgré son arrogance et sa cruauté, Rigault, dès le 18 avril, en prévision des événemens qu’il redoutait et afin de se ménager le moyen de fuir, avait retenu un logement rue et hôtel Gay-Lussac, chez un maître de garni nommé Chrétien ; il s’était fait inscrire sur le registre des locataires au nom d’Auguste de Varenne, homme d’affaires, âgé de vingt-sept ans, né en Espagne, ayant eu Pau pour dernier domicile : il avait là une simple chambre qu’il partageait souvent avec Dacosta ; une femme de théâtre, avec laquelle il était également lié, ne demeurait pas loin de là. Le 24 mai, vers cinq heures du soir, quelques chasseurs à pied du 17e bataillon, après avoir emporté la barricade du boulevard Arago, aperçurent un commandant de fédérés qui très précipitamment entrait à l’hôtel ; ils firent feu sur lui et le manquèrent. Quatre ou cinq hommes, conduits par un