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réunions où se fait la répartition des terres et des impôts risqueraient fort d’être lésées dans ces partages ; elles perdraient pratiquement leurs droits au domaine commun, et verraient la propriété collective tomber indirectement en désuétude. Quelque opinion que l’on ait sur le maintien des communautés de villages, cette manière détournée de les dissoudre serait de tous les procédés d’abrogation le plus arbitraire et le plus inique.

L’ignorance, l’ivrognerie et la paresse ne sont point du reste les seules plaies du mir, ou pour mieux dire, ces vices trop fréquens se manifestent souvent d’une manière inattendue par la domination d’une minorité de paysans aisés sur la majorité de leurs coassociés. Contribuables en retard, débiteurs insolvables et hôtes assidus du kabak (cabaret), tombés dans la dépendance de leurs voisins plus sages ou plus habiles, deviennent pour leurs créanciers comme une clientèle docile. De là parfois dans une constitution éminemment démocratique le règne d’une sorte d’oligarchie villageoise ; de là la fâcheuse domination de ces exploiteurs du paysan, de ces mangeurs du mir (miroiédy) si souvent signalée dans la grande enquête agricole[1]. De tels faits montrent une fois de plus combien il est difficile de toujours prévoir les conséquences pratiques d’une législation ou d’une constitution. Les mœurs et les circonstances ont souvent beaucoup plus d’influence que tous les articles de loi ou les règlemens d’administration. Le mir russe est, malgré sa constitution, exposé à deux inconvéniens inverses : il peut servir d’instrument à une envieuse et paresseuse démagogie de village ; il peut aussi bien être mis au service d’une petite et rapace oligarchie de clocher. Le mir est, comme bien d’autres institutions, placé entre deux écueils voisins et opposés ; nous verrons plus loin quels sont les moyens suggérés pour l’en mettre à l’abri.

Les communautés de villages sont aujourd’hui même loin d’être entièrement désarmées contre les mauvais sujets ou les perturbateurs. L’assemblée communale possède vis-à-vis de ses membres un droit d’exclusion. La coutume lui donne la faculté d’interdire à qui bon lui semble de prendre part à ses délibérations, et la loi lui reconnaît ce singulier privilège, pourvu qu’elle n’en use pas pour plus de trois ans de suite vis-à-vis de la même personne[2]. Un tel droit d’ostracisme peut nous paraître excessif, il est peut-être indispensable à des diètes villageoises, dont aucun mandat n’ouvre les portes. Le pouvoir de la commune sur ses membres va plus loin encore. L’assemblée n’est pas seulement libre

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1876.
  2. Articles 47 et 51 de l’édit d’émancipation.