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plus réellement égalitaire et représentatif, est en même temps plus conservateur. C’est à lui sans doute que la commune russe doit en grande partie le maintien de ses franchises et son autonomie séculaire, à lui qu’un jour le peuple russe pourra devoir une liberté sage et progressive. Cette attribution du droit ou de la fonction d’électeur à la famille et non à l’individu corrige ce qu’il peut y avoir d’excessif ou de périlleux dans ce régime d’une démocratie s’administrant directement elle-même, sans le secours de représentans élus. L’assemblée de village des moujiks est un sénat rustique dont les anciens de chaque famille sont les membres de droit.

Tous les chefs de maison sont, par la coutume et la loi, convoqués aux assemblées de village; il n’y a aujourd’hui d’exception qu’à l’égard des condamnés pour vols ou autres délits graves. Une certaine école voudrait voir étendre la liste de ces exclusions et restreindre le nombre des membres de l’assemblée. Dans la presse et dans les réunions de la noblesse, des écrivains et des orateurs ont demandé avec instance que le droit de vote à l’assemblée communale fût enlevé aux contribuables arriérés et même aux mauvais débiteurs, afin, dit-on, de laisser tout le règlement des affaires aux paysans ordonnés et laborieux[1]. Sous prétexte d’éloigner des délibérations les mauvais sujets ou les ivrognes, on arriverait ainsi à supprimer pratiquement l’égalité traditionnelle des membres du mir, à créer dans les communes rurales une sorte de cens; car, grâce au poids des taxes, l’on sait que dans beaucoup de villages le nombre des contribuables en retard est considérable, et que parfois le village entier est hors d’état d’acquitter les taxes dues à l’état, La commune aurait peut-être quelque avantage à voir le législateur grossir la liste des cas d’exclusion; mais la loi ne saurait sans inconvénient beaucoup resserrer l’accès des assemblées de village : ce serait se mettre en contradiction avec les mœurs et la coutume sur laquelle repose le mir.

La commune est une institution essentiellement populaire et traditionnelle, il serait dangereux d’en ébranler les fondemens sous le prétexte de la consolider ou d’en rectifier l’ordonnance. La présence de tous les chefs de famille au conseil communal est la conséquence naturelle du principe de la communauté ; ceux qui veulent exclure des assemblées un grand nombre de paysans tendent par là, sciemment ou non, à la dissolution du mir, à la suppression de la propriété collective au profit d’une sorte d’aristocratie villageoise. Les familles qui ne seraient plus représentées dans les

  1. Voyez à ce sujet les ouvrages cités plus haut du général Fadéief, et de MM. Samarine et Dmitrief.