Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se tenir sur leurs pieds, et le moment où ils seront en état de marcher tout seuls viendra peut-être plus vite que ne se l’imaginent leurs anciens maîtres[1].


III.

Ce qu’il y a de plus intéressant, de plus original dans la commune russe, ce sont ses assemblées délibératives. Le mir moscovite garde encore intacts et saillans beaucoup de traits qui, dans presque tous les autres pays de l’Occident, ont été effacés par les derniers siècles. Dans la commune rurale, pas de conseil, pas d’assemblée élue; les paysans se réunissent en libres assemblées, discutent, s’entendent entre eux sans l’intermédiaire de représentans. C’est le régime de la démocratie dans sa forme la plus simple et la plus primitive, le régime jadis en usage dans le vetchê des villes russes, encore subsistant aujourd’hui dans les landgemeinde des vieux cantons suisses et naguère dans les anteiglesias des provinces basques, longtemps conservé dans la plupart des pays de l’Occident, et en partie transporté par les colons anglais au-delà de l’Atlantique[2]. Dans la commune russe (selskii obchtchestvo), comme dans le township américain, il n’y a pas de conseil municipal. Les fonctionnaires, élus directement par les habitans, recueillent directement les instructions et les volontés de leurs électeurs.

Cette absolue démocratie, ce contrôle immédiat et perpétuel des électeurs par les élus, des mandataires par les mandans, n’est naturellement possible que dans un champ restreint. En Russie, où la population dépasse rarement trente habitans par kilomètre carré, les limites au-delà desquelles un tel mode de gouvernement devient impraticable sont bientôt atteintes. Aussi les antiques formes du mir russe, religieusement conservées dans les communes primaires pour l’assemblée de village (selskii skhod), n’ont-elles pu être appliquées dans des circonscriptions plus étendues aux assemblées de volost. En créant cette nouvelle unité administrative, la loi y a introduit le système représentatif. L’assemblée de la volost se compose de tous les fonctionnaires élus du bailliage, joints aux délégués choisis par les assemblées de villages, à raison d’un membre par dix feux, ou, comme disent les Russes, par dix cours (dvor). Ce conseil doit en tout cas compter au moins un représentant de chaque hameau, et, comme nous l’avons indiqué plus haut, il possède une sorte de commission permanente formée des chefs des diverses

  1. Iou. Samarine et F. Dmitrief : Revolutsionny conservatizm.
  2. Voyez l’Ancien régime et la Démocratie en Amérique de Tocqueville.