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aucune constitution peut-être n’est plus ingénieuse en garantie, plus riche en contre-poids. Les fonctionnaires se surveillent et se contrôlent les uns les autres. Les starostes ou leurs assesseurs réunis forment le conseil du starchine, qui est leur chef hiérarchique, et au-dessus de ces fonctionnaires ou de ces conseils, tous élus, il y a les assemblées de commune et de volost, omnipotentes et fréquemment convoquées. Certes, s’il y a souvent encore des abus, des fraudes ou des tyrannies locales, la faute n’en peut être imputée à la loi, au manque de surveillance et de frein[1].

La commune élit tous ses fonctionnaires; elle choisit aussi ses juges, ses tribunaux de volost, car, ainsi que nous l’avons annoncé, les paysans ont leur justice comme leur administration. Je ne puis étudier aujourd’hui ces tribunaux rustiques, je ferai seulement remarquer combien cette justice villageoise complète et rehausse l’autonomie des communes russes et l’indépendance de la classe rurale. Cette prérogative n’est pas seulement un des droits seigneuriaux dont l’abolition du servage a fait hériter les communes émancipées, c’est encore une des conséquences indirectes de la propriété collective et de la constitution traditionnelle du mir. La communauté de la terre et les partages périodiques du domaine communal, la solidarité des impôts et les rapports étroits des paysans attachés les uns aux autres par tant de nœuds, donnent lieu à des difficultés et à des contestations dont un tribunal de paysans peut seul connaître, parce que de telles affaires sont souvent soumises à des coutumes locales.

Outre leurs fonctionnaires et leurs juges, les communes russes ont des employés qui, selon la décision du mir, sont élus par les assemblées ou pris à gages par les autorités. Tels sont les surveillans ou inspecteurs des magasins de la commune, les gardiens des bois ou des prairies, les bergers communaux et enfin l’écrivain ou greffier. Ce dernier a dans la vie du mir un rôle important ; il est le but de beaucoup des traits lancés contre le libre gouvernement des paysans. Cet écrivain (pisar), qui n’est qu’un commis à gages, sans pouvoir légal, est souvent en fait la première autorité du village, le véritable arbitre de la commune. Le paysan et le fonctionnaire abdiquent tout en ses mains. La grande enquête agricole est remplie de dénonciations et de doléances à son sujet. Le scribe est d’ordinaire étranger à la commune, étranger même à la classe des paysans par l’éducation et les habitudes, si ce n’est par la naissance. C’est souvent un employé chassé d’une chancellerie

  1. Le starchine, ou chef de volost, est soumis à la confirmation d’une administration spéciale dont nous parlerons tout à l’heure. — Sur les injustices des communes et les tyrans de village, les miroiédy, voyez la Revue du 15 novembre 1876.