commune et lui dit : « Rigault, j’ai une femme, j’ai des enfans. — Rigault répliqua : — Pas de sensiblerie, je m’en f… ! » Chaudey ne parla plus et alla s’adosser à la muraille, à côté d’une lanterne, redressant sa haute taille et regardant Rigault, qui disait : « Baste ! quand les Versaillais me tiendront, ils ne me feront pas tant de grâce ! » Léonard rangea le peloton d’exécution ; Raoul Rigault se plaça sur la gauche, tira son épée et commanda : feu ! Les hommes ne voulaient pas tuer, cela est certain, car ils étaient à moins de vingt pas de Chaudey, et celui-ci ne reçut qu’une seule balle qui le blessa légèrement au bras gauche. Il agita le bras droit et trois fois de suite cria : vive la république ! Clément se précipita sur lui et lui tira à bout portant un coup de fusil dans le ventre ; il resta debout. Gentil lui déchargea son revolver contre la poitrine ; le malheureux roula par terre ; Préau de Védel s’approcha et lui fit sauter la base du crâne. « C’est égal, dit Rigault, il est b… bien mort ; aux autres maintenant. »
Il revint au greffe, où les trois gendarmes Rouzon, Capdevielle et Pacotte, arrachés en hâte au premier sommeil, l’attendaient à demi vêtus. Rigault, à peine entré, leur dit : « vous allez être fusillés. » Ils se récrièrent : « Nous sommes soldats et nous devons être mis en liberté. — Ah ! oui, en liberté, reprit Rigault, pour que vous nous f… des coups de fusil ; pas de ça, Lisette ; allons, en route ! » Dans les couloirs, on discuta pour savoir si on les exécuterait ensemble ou l’un après l’autre. Préau de Védel dit : « Il faut les mettre en tas. » Son avis prévalut. Le peloton d’exécution discutait aussi ; ces hommes avaient honte du métier qu’on leur faisait faire et déclaraient qu’ils « en avaient assez. » Slom leur fit une allocution et les rappela « au sentiment du devoir. » Les gendarmes furent placés au mur, ayant devant eux, à leurs pieds, le cadavre de Chaudey ; le peloton fit feu, deux des condamnés tombèrent ; Préau de Védel et Clément leur donnèrent le coup de grâce. Un des trois gendarmes n’avait point été atteint ; instinctivement, il avait pris sa course vers la gauche, dans le prolongement du chemin de ronde, et s’était caché derrière une guérite. Préau de Védel le découvrit et allait le tuer d’un coup de revolver, lorsque Raoul Rigault cria : « Ne tire donc pas, amène-le ici, qu’il crève avec les autres. » Un troisième feu de peloton le mit à mort. Préau de Védel dit : « C’est une bonne chose, nous en avons nettoyé quatre. » Raoul Rigault quitta la prison car il ne savait pas que trois prêtres y avaient été incarcérés dans la journée ; cette ignorance leur sauva la vie.
Pendant la nuit, on mit les quatre corps sur une civière qui, étant trop chargée, se brisa ; on les plaça alors dans la petite charrette où l’on jetait ordinairement les ordures de la prison et on