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toléré par la loi[1]. Les fonctionnaires de la commune reçoivent en outre d’ordinaire une gratification en argent ou en nature dont le chiffre est laissé à la décision des assemblées communales. Malgré cette indemnité et ces privilèges les charges communales ne semblent pas d’ordinaire fort enviées; les paysans les plus capables de les remplir s’en montrent souvent peu jaloux, souvent les candidats manquent, et les fonctionnaires en place mettent des prétextes en avant pour en déposer le fardeau. Il faut parfois l’autorité et la violence du mir, auquel personne n’ose désobéir, pour trouver des maires de villages. Parfois dans ces petites démocraties illettrées se montre un dégoût des fonctions publiques qui rappelle les répugnances des sujets de Rome pour les charges municipales à la fin de l’empire romain[2]. Le mal cependant est loin d’être aussi profond et aussi général; l’on aurait tort d’y voir pour les institutions rurales un germe de décadence. Il est des fonctionnaires communaux qui s’attachent à leurs fonctions ; si plusieurs en abusent, quelques-uns les remplissent avec un dévoûment qui sur une scène plus vaste ou moins obscure leur vaudrait les applaudissemens des hommes[3]. L’attachement au mir et le respect pour ses décisions sont chez d’ignorans paysans le principe de naïves et simples vertus, sans lesquelles le mir, comme la république de Montesquieu, aurait peine à vivre.

Les fonctionnaires de la commune sont nombreux, et par suite l’administration rurale est relativement compliquée et dispendieuse; c’est là du moins un des reproches que lui font ses adversaires. A la tête de chaque communauté de village est une sorte de maire ou de bailli portant le titre d’ancien ou de vieux (starosta). A la tête de la grande commune ou volost est un fonctionnaire analogue dont le rang supérieur dans la hiérarchie villageoise est indiqué par une sorte de superlatif ou d’augmentatif de ce titre patriarcal : on l’appelle starchina. A l’origine, quand la communauté n’était encore qu’une famille agrandie, le chef était le plus âgé; alors même

  1. Nous indiquerons, en étudiant les institutions judiciaires, pour quels délits et dans quelles limites l’usage des verges reste autorisé.
  2. L’on peut voir à ce sujet quelques exemples cités par M. Mackenzie Wallace dans son nouvel et savant ouvrage Russia, t. Ier, p. 200, 202. Les fonctions pour lesquelles les paysans ont le plus de répugnance sont, croyons-nous, celles de collecteur d’impôts. Le poids et la solidarité des taxes, la difficulté de les recouvrer, n’expliquent que trop une pareille répulsion ; elle est si naturelle que la fonction de collecteur des taxes n’est imposée que pour un an, tandis que tous les autres fonctionnaires sont élus pour trois ans.
  3. Un récit de M. Alexis Potiékhine, récemment publié dans le Vestnik Evropy (avril et mai 1877) sous le titre de Po Mirou, représente en traits vivans un de ces héros rustiques, un de ces Washington de village.