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étendues. La volost représente dans l’administration rurale l’élément nouveau et, pour ainsi dire, artificiel, la part de l’initiative gouvernementale et de la charte d’émancipation. C’est par le groupement de leurs petites communautés que la loi a voulu assurer aux moujiks les moyens de s’administrer eux-mêmes, et qu’elle a cherché à suppléer à l’abolition de la tutelle seigneuriale. Par là, l’autorité impériale a donné à la classe des paysans une force, une consistance que n’eût pu lui procurer le morcellement en petits villages et en minces communautés. Dans les pays mêmes les plus civilisés de l’Occident, en certaines régions de la France par exemple, une des raisons de la débilité, de l’anémie de la vie communale, est souvent la petitesse, la maigreur excessive et l’isolement des communes.

La volost et l’obchtchestvo ont un rôle différent, leur mode d’organisation est analogue. La petite commune a surtout des attributions économiques, la grande des attributions administratives. A la première appartient tout ce qui concerne la jouissance de la terre, la répartition de l’impôt solidaire[1]; à la seconde tout ce qui regarde les intérêts généraux de la volost, tout ce qui touche aux rapports avec les autorités supérieures, et enfin tout ce qui concerne la justice, car les paysans ont, dans une certaine mesure, hérité du droit de justice et du droit de police de leurs anciens seigneurs. Pour les impôts et le recrutement, pour l’assistance publique et les écoles par exemple, certaines des attributions de l’une et l’autre commune sont analogues; la grande ne fait que surveiller ou contrôler la petite. C’est une double instance administrative.

Les principes qui régissent la volost et l’obchtchestvo sont identiques. La loi, en groupant en faisceau les communautés de paysans, a introduit dans ces nouvelles créations les usages, les règles, l’esprit qui régnaient traditionnellement dans le mir russe. Toutes les fonctions y sont à l’élection, tous les membres de la double commune peuvent être également appelés à tous les emplois. Communautés de villages ou volost sont ainsi de véritables démocraties où toutes les affaires des paysans sont traitées par eux en famille, sans intervention du gouvernement central, sans immixtion des autres classes sociales. Tel est dans ses traits généraux le régime communal de l’empire autocratique. Ce self-government traditionnel, cette autonomie rurale et villageoise, le moujik, longtemps asservi, en est manifestement redevable au maintien de la propriété collective. Tous les droits, toutes les coutumes et les mœurs de la commune découlent de cette même source.

  1. Nous devons rappeler qu’il s’agit partout ici des provinces où subsiste la propriété collective, c’est-à-dire de la Grande-Russie, de l’ancienne Moscovie.