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courtine qui relie au petit redan, et enfin la division Dulac devant le petit redan. Les régimens de la garde formaient la réserve sous les ordres de Mellinet. Le général Bosquet avait le commandement de toutes ces troupes, et comme ce sont à peu près les seules qui aient réussi, c’est bien au 2e corps d’armée et à son digne chef que revient pour la plus grande part l’honneur de la prise de la ville

« Dans les premiers momens de l’assaut, nous avons cru tout enlevé et presque terminé comme par un coup de foudre; mais les Russes, blottis d’abord pour se garantir de notre feu d’enfer sous des blindages ou sous terre, sont bientôt revenus à la charge, et c’est à peine si nous avons pu nous maintenir dans les positions conquises. Heureusement la division Mac-Mahon tenait bon dans Malakof, où nous avions la consolation de voir flotter le drapeau français. Bientôt nous nous trouvons au milieu d’une véritable tempête de feu; nous recevions une pluie de projectiles qui nous arrivaient de toutes parts, c’était comme la grêle qui fauche les épis d’un champ. Les morts, les blessés, s’entassaient sous nos pas. On ne savait où donner de la tête; ce flux et ce reflux de nos soldats qui revenaient en courant vers nous, pour repartir vers l’ennemi, qui les repoussait, était bien fait pour la faire perdre. Le général Bosquet, avec un calme et un sang-froid parfaits, donnait des ordres, envoyait les officiers de son état-major partout, et se faisait rendre compte de ce qui se passait en dehors de sa vue. La bataille continuait avec un acharnement inouï sur toute la ligne des remparts, lorsque vers trois heures une bombe lancée de la ville vint à éclater derrière nous. Le général Bosquet, frappé au côté droit, chancelle et s’évanouit; me trouvant tout près de lui, je le reçois dans mes bras. A la souffrance exprimée sur ses traits, à sa pâleur, à ses plaintes déchirantes, je l’ai cru perdu. Quelle pénible impression autour de nous ! La perte d’un tel chef dans un pareil moment pouvait compromettre le succès! Le courageux blessé eut encore la force de s’informer de tout et d’envoyer prévenir le général Pélissier, qui se trouvait au Mamelon-Vert, pour le faire remplacer. Ce ne fut que plus tard, lorsque les forces l’abandonnèrent tout à fait, qu’il consentit à se laisser enlever du champ de carnage. Que de temps nous avons mis pour sortir des tranchées ! Ce n’est qu’à la nuit que nous sommes arrivés à notre quartier-général, et que nous avons déposé dans sa baraque en planches notre pauvre blessé.

« La ville de Sébastopol est bien à nous ; mais la partie nord est encore au pouvoir des Russes, le plus difficile est fait, et cela n’a pas été sans peine. »


Le directeur-gérant, C. BULOZ.