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mérite et la noble conduite pleine de désintéressement du général Canrobert. L’histoire offre peu d’exemples d’une telle abnégation; elle ne nous parle que d’ambitieux capables de tout pour conserver ou saisir le pouvoir. L’impossibilité de faire adopter par les Anglais un plan de campagne qui était le meilleur et le plus décisif a fait tomber en d’autres mains la direction des opérations du siège.

« Le commandant du 2e corps avait été indiqué au gouvernement, par celui dont il était le lieutenant, comme le plus capable pour cette direction. L’opinion de l’armée était d’accord en cela avec son digne chef. Les antécédens militaires de Pélissier, sa valeur personnelle, sa haute autorité sur ses compagnons d’armes, justifient cette confiance publique. Le nouveau général en chef n’est pas le même homme que celui qu’il remplace : c’est un tout autre caractère, mais c’est un caractère. Il a bien sa valeur. Fier, énergique, décidé, il saura tout sacrifier pour le succès, sa propre vie comme celle de ses soldats. D’une grande probité, il ne transigera ni avec ses opinions, ni avec sa conscience; il ira toujours droit au but, sans se préoccuper des autres. Peu aimé du soldat, qu’il traite durement, il saura s’en faire respecter et obéir... Il aime à s’entourer de gens distingués, comme le font tous les esprits d’élite. Pour de l’esprit, il en a beaucoup et du plus mordant; il en a souvent abusé envers ses inférieurs ou ses égaux, jamais par méchanceté. Il est un peu bourru, mais c’est un bourru bienfaisant.

« Omer-Pacha ne demandait pas mieux que de servir sous les ordres de Canrobert, dont il épousait tous les projets ; mais il ne veut pas subir les idées du nouveau commandant, qui, dit-on, l’a blessé dans son amour-propre. Son départ de Crimée, s’il a lieu, sera le coup le plus funeste porté à la puissance militaire de la Turquie, qui est déjà bien affaiblie. »


11 septembre 1855.

« Deux jours avant l’assaut, il y a eu grand conseil de guerre chez le général Pélissier, et le lendemain chez le général Bosquet, qui, comme chef du 2e corps d’armée, avait été chargé du commandement de toutes les attaques de droite. La veille au soir, tous les commandans d’armes, les chefs de corps appelés à concourir à l’assaut du lendemain, furent réunis à notre quartier-général. Là, avec une netteté d’esprit et une clarté dans la parole bien faite pour inculquer aux autres sa pensée, le général Bosquet expliqua l’ensemble du plan d’attaque et le rôle que chacun aurait à remplir

« Un peu avant midi, tout était prêt pour l’assaut ; chacun était à son poste : la division Mac-Mahon massée dans les tranchées arrivant au pied de Malakof; la division La Motterouge, dans celles vis-à-vis la