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ESSAIS ET NOTICES.

Lettres de Crimée, souvenirs de guerre, par M. Charles Bocher. Paris 1877; Calmann Lévy.


M. Charles Bocher publie aujourd’hui même la correspondance qu’il entretenait avec ses amis et sa famille pendant la guerre de Crimée. On retrouvera dans ces lettres les grandes émotions qui assaillent l’homme de cœur qui combat pour son pays. Officier de l’armée d’Afrique, M. Bocher a écrit ici même des pages brillantes dans lesquelles il a raconté le siège de Zaatcha, la prise de Narah et bien d’autres faits glorieux pour nos armes, aussi ses lettres ne laissent-elles rien à désirer au point de vue du talent de l’écrivain; il y a même pour nous un autre intérêt, c’est que nous avons rencontré dans ces récits le portrait de bien de nos collaborateurs qui, eux aussi, faisaient partie de l’armée d’Orient : MM. Jurien de la Gravière, de Molènes, de La Tour du Pin, duc de Dino, etc. Voici d’ailleurs des fragmens que nous détachons du volume et qui permettront à nos lecteurs d’apprécier tout de suite ce livre :


24 mars 1855.

« Nous avons eu, l’avant-dernière nuit, une sortie des Russes très vigoureuse et parfaitement combinée contre nos ouvrages du côté du Mamelon-Vert. C’est assurément la plus forte attaque que nous ayons eue à subir depuis Inkermann. Ils étaient 7,000 ou 8,000, commandés par Khroulef. Nos troupes de garde ne s’y attendaient guère. Les tranchées, soudainement envahies par ces intrépides assaillans, ont été le théâtre d’un combat des plus sanglans. Notre résistance énergique a fini par dégoûter l’ennemi, qui s’est retiré avec de grandes pertes. Une suspension d’armes de quelques heures a eu lieu aujourd’hui pour enterrer les morts; il y avait 600 cadavres sur le terrain. Des officiers et sous-officiers des troupes engagées des deux côtés, avec des hommes de corvée, viennent reconnaître les cadavres et faire enlever ceux qui leur appartiennent. C’est un triste spectacle. Ces victimes de la guerre sont la plupart défigurées affreusement; souvent il leur manque presque la tête, un bras, une jambe. Quelles impressions pour ceux qui les avaient vus la veille dans la puissance de la vie et de la santé !

« Pendant cette triste cérémonie, les officiers français et russes, qui se trouvaient là en assez grand nombre, ont fini par se rapprocher et échanger des paroles de politesse en se donnant force poignées de main. Des deux côtés, on faisait des vœux pour la fin d’une guerre qui mettait en présence deux armées plutôt sympathiques l’une à l’autre..... »


Du camp de Tracktir, 1er juin.

« J’espère qu’à Paris on aura jugé, comme à l’armée d’Orient, le rare