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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 juillet 1877.

Pourrait-on nous donner l’explication d’un phénomène assez singulier? Voici bientôt trois mois qu’un acte personnel du chef de l’État a changé du tout au tout la situation de la France. Un cabinet choisi en dehors de la majorité parlementaire a été appelé au pouvoir. La chambre des députés, qui n’avait pas la confiance du gouvernement, selon le mot presque naïf d’un des membres du cabinet, a été dissoute avec le concours du sénat; l’administration du pays a été instantanément et profondément remaniée. Une politique nouvelle ou prétendue nouvelle a été proclamée comme un symbole de salut public, comme la dernière garantie de la société en détresse ! Les ministres providentiels chargés de représenter cette politique se sont adressés à l’opinion, non-seulement par leurs discours dans les chambres, tant qu’il y avait des chambres, mais par leurs actes, par leurs circulaires, par leurs instructions à tous les fonctionnaires, par leurs journaux, par leurs affiches dans toutes les communes de France. M. le président de la république lui-même a saisi depuis le 16 mai toutes les occasions de dévoiler la pensée et les intentions qui l’avaient dirigé; il s’est expliqué dans ses messages, dans une allocution à Compiègne, dans un ordre du jour à l’armée de Paris, et hier encore il a choisi la paisible ville de Bourges pour prononcer un nouveau discours, pour dissiper tous les doutes et répondre à toutes les accusations, pour faire la lumière en un mot. Les discours, les déclarations, les commentaires se succèdent, et cependant plus nous avançons dans cette carrière d’aventure, plus les explications se multiplient, moins on voit clair dans cette étrange situation créée le 16 mai, moins on sait réellement où l’on va. Tous les éclaircissemens ne font quelquefois qu’épaissir l’obscurité ou ne servent à rien. C’est qu’il est malheureusement vrai que le gouvernement s’est placé dans des conditions fausses, violentes, où il est réduit à démentir ses intentions et ses déclarations par ses connivences, ses paroles par ses actes, ses résolutions les meilleures par les emportemens de la lutte à laquelle il s’est condamné.