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de décider lequel d’entre eux, étant le plus fort, pourra en raison de sa force imposer sa volonté aux autres. Les belligérans, ayant rompu les liens formés par le droit des gens en temps de paix, ne reconnaissent plus dans leurs relations réciproques d’autre loi que la force, et aussi longtemps que la lutte se prolonge, la seule question qui soit posée est de savoir lequel est assez fort pour contraindre la partie adverse à confesser sa supériorité et à se soumettre à sa puissance. La lutte finit quand l’état le plus faible accepte les conditions que lui impose l’état le plus fort et s’engage à les observer. Cet engagement crée un droit pour le vainqueur, et ce droit n’est pas autre chose que ce qu’on appelle communément le droit du plus fort, lequel est de tous les droits le moins respectable. Le devoir du vaincu, qui a confessé sa faiblesse, est de subir les conséquences de son aveu et d’exécuter loyalement les obligations qu’il vient de souscrire; le devoir du vainqueur est d’acquérir, s’il le peut, le droit au respect par l’usage qu’il fait de sa victoire. Montesquieu a dit : «C’est à un conquérant à réparer une partie des maux qu’il a faits; je définis ainsi le droit de conquête : un droit nécessaire, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s’acquitter envers la nature humaine. »

Si la guerre, poursuivent nos auteurs, a pour seule mission d’établir le droit du plus fort, si cette démonstration est son seul objet, il en résulte qu’il y a des actes de guerre qu’il est permis de juger nécessaires et d’autres qu’on peut considérer comme inutiles et partant comme odieux. Les actes nécessaires sont ceux qui tendent à détruire le plus promptement possible les forces de l’état ennemi; les actes inutiles et odieux sont ceux qui prolongent la lutte ou la rendent plus atroce sans détruire l’ennemi. Cette distinction a été consacrée par ce qu’on peut appeler les coutumes de la guerre, lesquelles dépendent les mœurs des nations et varient avec les lieux et avec les temps. Les belligérans ne peuvent supprimer la civilisation ; ils sont obligés d’en tenir compte, et une sorte d’entente tacite s’est établie dans la manière d’employer la force; ces pratiques, acceptées, respectées par tout le monde, sont devenues de véritables obligations. Toutefois, en dépit de ces coutumes, les conflits armés, ramenant les peuples à l’état barbare, seront toujours accompagnés d’excès et de violences; par une inévitable fatalité, il n’y a de ressource contre les excès de la guerre que dans la guerre elle-même, et cette ressource consiste à opposer la violence à la violence ; c’est ce qu’on appelle les représailles. Un philosophe du siècle dernier a remarqué que, quand la nature forma notre espèce, elle nous donna quelques instincts, « l’amour-propre pour notre conservation, la bienveillance pour la conservation des autre?, l’amour, qui nous est commun avec toutes les espèces, et le don inexplicable de combiner plus d’idées que tous les animaux ensemble, » et qu’après nous avoir ainsi assigné notre lot, elle nous dit : Faites comme vous pourrez. C’est surtout