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armées puissamment organisées, on risquerait de compromettre la défense nationale et de la rendre plus funeste au pays lui-même qu’à l’agresseur.» Sans contredit, plus une guerre est courte, moins elle est sanglante et ruineuse, et on serait certain d’en abréger la durée, si on obtenait du belligérant le plus faible qu’après une première défaite il renonçât à l’emploi de tous les moyens qui lui permettraient de prolonger sa résistance ; mais ce principe ne pouvait être agréé par les petits états, que leur faiblesse condamne à la défensive. Ils réussissent quelquefois à parer les coups qu’on leur porte; mais, s’ils sont exposés à voir envahir leur héritage, ils ne peuvent se flatter d’envahir celui des autres. L’Angleterre partagea les scrupules des petits états, elle approuva leurs objections. Dans une dépêche datée du 20 janvier 1875, le comte Derby déclara que son devoir était de repousser, au nom de la Grande-Bretagne et de ses alliés dans les guerres futures, tout projet tendant à altérer les principes du droit international en vigueur jusqu’ici, et de refuser sa participation « à tout arrangement qui aurait pour objet de faciliter les guerres d’agression et de paralyser la résistance patriotique d’un peuple envahi. »

Au surplus, il répugnait aux petits états qu’on prétendît codifier, formuler solennellement les droits et les devoirs d’un envahisseur. Ils savaient qu’il est dangereux de reconnaître des droits aux conquérans, parce qu’ils sont toujours tentés d’en abuser, et qu’il est inutile de leur rappeler leurs devoirs, parce qu’ils trouvent toujours d’excellentes raisons pour se dispenser de les remplir. De quoi sert à la mouche de raisonner principes avec les araignées? Les araignées commencent par la manger, après quoi elles démontrent savamment que l’affaire s’est passée dans toutes les règles, et le monde les en croit. Il est des cas où la meilleure législation est de n’en pas avoir; les lois écrites ont cet inconvénient qu’elles légitiment tout ce qu’elles n’interdisent pas.

Bien que la conférence de Bruxelles n’ait pas abouti, elle n’a pas été absolument inutile; elle a donné lieu à des débats intéressans, et ces débats nous ont valu quelques-uns des meilleurs chapitres d’un ouvrage judicieux et solide intitulé : Précis du droit des gens, par MM. Funck Brentano et Albert Sorel[1]. Les auteurs de ce livre, où les questions sont nettement posées et les principes clairement déduits, semblent avoir pris à cœur de réclamer au nom du bon sens français et d’une sage philosophie contre les conséquences dangereuses de la nouvelle doctrine russe touchant le droit des gens. Ils commencent par démontrer qu’à proprement parler il n’y a point de guerres justes ou injustes, que la guerre n’est jamais un droit, qu’elle est un acte politique par lequel des états qui ne peuvent plus concilier leurs intérêts et leurs prétentions respectives recourent à la lutte armée, et demandent à l’évènement

  1. Paris, 1877. Plon.