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d’années, ont étudié avec tant de soin le rôle du poète au milieu des luttes de son siècle que le sujet semble épuisé. Pourquoi au VIe chant du Purgatoire, l’apostrophe terrible :

Ahi serva Italia, di dolore ostello,
Nave senza nocchiero in gran tempesta ?
……………
Ahi gente, che dovresti esser devota,
E lasciar seder Cesar nella sella,
Se bene intendi cio, che Dio ti nota?


Pourquoi ce césarisme de Dante? Pourquoi ces reproches d’impiété adressés aux hommes qui repoussent le césar germanique? Pourquoi, aux XVe et XVIe chants du Paradis, cette peinture si douce, si tendre, de la Florence des anciens jours :

Fiorenza dentro dalla cerchia antica
Ond’ ella toglie ancora e Terza e Nona
Si stava in pace sobria e pudica !


Sur toutes ces questions et celles qui s’y rattachent, M. Charles Witte, M. Wegele, M. Auguste Kopisch, à leur tête le roi Jean de Saxe (sous le pseudonyme de Philaléthès), ont écrit des pages du plus vif intérêt; le chapitre de M. Perrens vient enrichir cette littérature dantesque déjà si riche il y a une vingtaine d’années, et qui s’est accrue encore depuis ce temps. Partout où s’étendent ces recherches sur l’histoire politique ou littéraire de l’Italie, la France a l’ambition de ne pas rester en arrière; si l’Allemagne la devance, elle se hâte d’aller la rejoindre.

Une des parties les plus intéressantes de l’ouvrage, ce sont les quatre chapitres qui le terminent, image familière des conditions sociales de Florence, de l’organisation des industries et des métiers, de la vie privée des citoyens, de l’éclat des lettres, de la splendeur des arts. L’auteur entre ici dans le plus grand détail sans qu’il y ait ni encombrement ni confusion, il est maître de son sujet, il le domine, il le dispose à sa guise, et l’ordre parfait de la distribution ajoute à l’agrément du tableau. Voici la chevalerie qui décroît et la bourgeoisie qui s’élève. Voici les prêtres, les évêques, les gens de loi, les notaires, les magistrats ; voici les marchands et leur clientèle; voici la famille, le père et les enfans, le mari et la femme; voici le luxe public et le luxe privé, les maisons de ville et les villégiatures, les lois somptuaires, les œuvres de charité, les aveugles, les mendians; voici surtout les artistes, les savans, les poètes, immortel honneur de Florence. C’est la vivante peinture d’une grande cité où les dernières lueurs du moyen âge se mêlent encore aux premiers rayons de la renaissance.

Le travail de M. Perrens, solide fondement d’un édifice considérable, forme donc à lui seul un ensemble qui a son intérêt propre. Des premières