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l’après-midi, et où il passait la nuit quand il restait là plusieurs jours afin de surveiller mieux les ergatès qu’il employait.

Dionytza, ne voyant plus Spiridion, s’était peu à peu rassurée; toujours riante, elle ne savait pas approfondir un danger, et elle expliquait tout à sa manière, comme une enfant qui ne croit pas à la portée d’une parole. Ces mots qui l’avaient terrifiée, elle les attribuait maintenant à un égarement involontaire. — Il était trop triste, pensait-elle, et j’ai eu tort d’aller à lui; pauvre Spiro, c’est un instant de folie, il le regrette aujourd’hui, il se cache, car il n’aurait pas voulu me faire de la peine.

Elle ne se trompait pas complètement : Spiridion ne regrettait pas ses paroles, mais il se reprochait les larmes qu’il avait fait couler. Cependant, de ce jour, il considéra qu’il avait décidé de son sort, il se persuada qu’il avait lu dans l’avenir, et, le cerveau sans cesse troublé par une exaltation toute mystique, il attendait. Certes, il ne faisait pas de projet, il ne cherchait aucun moyen, mais il avait la foi que donne le culte d’une idée fixe, et, si on lui eût dit que bientôt Dionytza brillante et radieuse viendrait à lui, il ne s’en lût pas étonné.

Et, pour se mieux pénétrer de cette croyance, il allait, promenant son rêve, et répétant en face du ciel et de la mer, ces éternels témoins devenus les confidens de son amour, les paroles qu’il avait dites à Dionytza. Quand le soleil couchant disparaissait à l’horizon, il le saluait en s’écriant : — Soleil, apporte-moi demain l’heureuse nouvelle et fais que je puisse dire : C’est aujourd’hui que Dionytza m’aimera. — Il personnifiait chaque montagne, chaque fleur, il voyait dans toutes les puissances inanimées de mystérieux protecteurs qu’il se plaisait à implorer.

Une nuit pourtant, comme il veillait, étendu, le visage tourné vers la mer, suivant d’un regard attentif les vagues qui jetaient une à une, sur la grève, leur écume phosphorescente, il se prit à penser que depuis deux jours Constantin était demeuré à sa vigne, et que Dionytza était seule ; il se dit tout bas ce qu’il disait tout le jour : — Dionytza, tu seras à moi. — Il répéta ces mots, étonné de les entendre, comme si pour la première fois il en comprenait tout le sens, et il sentit que son cœur battait à se briser, que sa tête était pleine de feu.

La nuit s’avançait silencieuse et sereine, et la lune traçait de grandes clartés entre les ombres des maisons. Autour de lui, des femmes, des hommes, ses frères, ses amis dormaient : il entendait par instans le bruit inégal d’une respiration qui s’élevait, des soupirs indistincts au milieu de l’accablement du premier sommeil. Chacun se reposait des lourds travaux de la journée, et le village était cette nuit-là plus paisible et plus endormi que jamais.