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heures chaudes du lendemain toute la fraîcheur de la nuit:; des hommes, des enfans, des femmes dorment côte à côte sur des feuilles sèches de maïs ou sur des tapis; les uns entourés de clarté, d’autres perdus dans l’ombre des arbres, tous fraternellement unis, reposent sans crainte, dans la confiance et la paix.

Peu de mois pourtant ont suffi pour changer Lithara : maintenant sans doute on n’y dormira plus sous le ciel d’été; on n’y laissera plus, durant la nuit, les portes toutes grandes ouvertes. Ce joli village n’apparaîtra plus, comme par le passé, heureux entre tous, et cependant la cause d’un changement si profond semble bien futile, elle est tout entière dans ces simples mots : Spiridion aima Dionytza.

Spiridion était le fils d’un tonnelier de Lithara; lui-même, une partie de l’année, fabriquait des caisses destinées à recevoir ces raisins secs dont la côte septentrionale du Péloponèse produit une si grande quantité. Après la récolte, il se faisait embaucher comme matelot sur le premier voilier venu pour une course de cabotage dans la Méditerranée, et demeurait jusqu’à six et huit mois à l’étranger. Le plus souvent, quand il revenait, il rapportait une pacotille qu’il savait faire entrer en contrebande et qu’il vendait à Lithara; mais il s’entendait mal à ce commerce, ses gains ne l’enrichissaient pas. Il se tenait cependant pour satisfait, vivant libre de son travail et ne devant rien qu’à lui-même. Aussi chacun l’aimait et l’estimait; ses camarades n’étaient point jaloux de lui quand ils le voyaient le dimanche à l’église avec sa foustanelle épaisse et blanche entre toutes, sa riche ceinture et cette belle veste couverte de soutaches de trois couleurs, achetée à Patras. Ses différens séjours dans les ports les plus fréquentés du Levant avaient développé à l’excès en lui ce sentiment si cher à tous les jeunes gens grecs, la coquetterie, et la majeure partie de ses économies passait au soin de sa parure, il avait aussi de belles armes; on lui enviait surtout ce beau kandjar à double tranchant, au manche massif et tout ciselé, que lui avait vendu un juif d’Alexandrie, et qu’il portait toujours à la taille. Il ne cherchait pas les querelles, mais on savait bien qu’il ne les craignait pas, et, quoiqu’il fût très mince et d’apparence délicate, sa souplesse exceptionnelle et sa vigueur toute nerveuse étaient connues, et il suffisait de voir un instant ses grands yeux noirs briller et s’assombrir pour comprendre qu’il avait pleine conscience de sa force et qu’il entendait la faire respecter. Une fine moustache noire ombrageait sa lèvre supérieure sans cacher la blancheur de ses dents, que la pâleur mate de son teint rendait plus éclatante encore. Ses cheveux, qu’il portait très courts, avaient la couleur d’une aile de corbeau.

Après ces longs mois de voyages, Spiridion ne revenait jamais