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Résumons maintenant les données multiples, confuses en apparence peut-être plus qu’en réalité, éparses dans cette étude.

Il y a pour l’homme, comme pour tous les êtres vivans, des substances alimentaires et d’autres substances qui ne peuvent pas être considérées comme telles. Or une sensation spéciale nous avertit de la valeur des différentes substances au point de vue de la nutrition : cette sensation est sous la dépendance du sens du goût. Le lait, le sucre, la viande, sont des alimens, et le goût nous en avertit, puisqu’il est excité agréablement par le lait, le sucre et la viande. Il ne pouvait en être autrement. Il était impossible que la nature nous inspirât de la répugnance pour ce qui doit constituer et constitue en effet notre nourriture : en même temps que le goût proprement dit, par une association d’idées très simple, l’odorat et la vue sont affectés de telle sorte que les alimens nous plaisent par leur odeur et leur aspect.

Cependant, à côté du goût, il y a une sensation tout opposée, c’est le dégoût. Le dégoût est une sorte de douleur, une sensation pénible particulière, qui, si elle est trop prolongée ou trop intense, amène la nausée et le vomissement. Mais, si on le prend dans son sens le plus restreint, c’est tout simplement la perception d’une saveur ou d’une odeur désagréables, les saveurs et les odeurs faisant également partie du sens du goût. Ainsi les substances acres, amères, fétides, nous dégoûtent, et si nous essayons de vaincre ce sentiment et de les avaler, l’excitation trop violente des nerfs du goût finira par provoquer le vomissement. Outre le goût et l’olfaction, la vue peut aussi nous donner des perceptions qui, par une association d’idées primesautière, produisent encore du dégoût : il en est de même du toucher, et une sensation tactile peut provoquer en nous des sentimens pénibles, désagréables, douloureux, qu’il est légitime de comparer au dégoût. Il y a donc d’une part un dégoût que l’on pourrait appeler gustatif et olfactif, et d’autre part des dégoûts visuels et tactiles, analogues, sinon identiques, au premier : cependant, quelle qu’en soit la cause, le dégoût est toujours la même sensation de répugnance, d’aversion, qui nous force à nous éloigner de l’objet qui a frappé ainsi nos sens, et qui, si elle devient trop intense, finit par provoquer la nausée.

Il est certain que les objets extérieurs n’ont en eux-mêmes rien qui soit répugnant. Ils ne sont dégoûtans que par rapport à nous, et si nos organes étaient autrement constitués, nous aurions des sensations tout autres. La fétidité, l’amertume, la laideur, ne sont pas des qualités essentielles des corps : ce sont des manières d’être vis-à-vis de nos perceptions, et, ce qui le démontre, c’est que suivant