Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu elle en évoque une série d’autres qui finissent, par devenir ou agréables ou désagréables, selon le sens du premier ébranlement. Si maintenant on tient compte de l’habitude, de l’éducation, de l’infinie variété de nos instincts, on verra combien il est difficile de formuler des lois générales pour les sentimens que peuvent faire naître des lignes géométriques, au premier abord si indifférentes à nos goûts. C’est pourtant sur la combinaison de ces lignes entre elles dans des proportions voulues que réside l’art de l’architecture. Un édifice peut paraître massif ou élancé, léger ou lourd, selon la disposition de ses lignes. Toutefois les sentimens qu’il évoque en nous sont vagues et indécis, tandis que pour les autres arts, la sculpture, la peinture, le drame et la poésie, les sentimens de goût ou de dégoût sont beaucoup plus nets.

C’est que la peinture, par exemple, est la représentation de la réalité, et, selon que cette réalité nous inspire des sentimens de goût ou de dégoût, le tableau que nous avons devant les yeux provoquera un sentiment agréable ou pénible. La représentation d’une tache de sang est dégoûtante comme le sang lui-même, et il en serait toujours ainsi, chaque fois qu’une tache de sang est représentée, si le peintre ne disposait d’un privilège que la nature ne possède pas, ou à vrai dire dont elle ne prend aucun souci, c’est de faire ressortir tel ou tel caractère spécial, de manière à enlever à l’objet primitif une partie de ses attributs et à provoquer chez le spectateur une idée différente de l’idée simple et toute physiologique que la vue d’une tache de sang fait naître en nous.

Dans un de ses plus remarquables tableaux, Henri Regnault a peint une large tache de sang coulant en nappe sur les degrés du harem. Un eunuque vient de trancher une tête qui a roulé sur les marches : fier de l’œuvre de justice qu’il vient d’accomplir, il regarde avec calme son épée sanglante et l’essuie froidement en détournant la tête vers le sang qui ruisselle ; néanmoins ce tableau n’excite pas le dégoût. La terreur, la vengeance, la pitié, la justice impassible, tels sont les sentimens qu’il éveille en nous, et il n’y a pas place pour la répulsion et autres sensations plus pénibles. Cela ne signifie pas que tous ceux qui regarderont ce tableau éprouveront des sentimens semblables. Il est même possible que chez quelques personnes le dégoût vienne à apparaître, et nous ne devons pas en être surpris. A représenter des scènes aussi hardies, on côtoie de bien près les idées repoussantes, et il faut une extrême habileté de mise en scène et d’exécution pour masquer par des sentimens plus forts le premier sentiment de répulsion que la vue d’une tache de sang provoque en nous.

Dans la poésie, il en est encore de même. Le style, la disposition