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pourrait avoir une bonne influence sur la tenue de la maison. C’est ce qu’Augustin Ranvier ne tarda pas à reconnaître ; plusieurs fois il traita Villemin de Versaillais, ce qui était alors la plus grosse injure que l’on pût proférer, et le menaça de le faire fusiller. Villemin pliait le dos, laissait passer les bourrasques, reprenait son service, tâchait d’occuper les détenus et allait souvent causer avec Bouzon, Pacotte et Capdevielle, qui étaient toujours prisonniers ; il leur portait quelque nourriture et parfois « une gobette » (verre de vin) supplémentaire. Tout cela déplaisait à Ranvier, qui, pour neutraliser le sous-brigadier, imagina spirituellement, sans doute par le conseil de Préau de Védel, de nommer un brigadier auquel tout le personnel des surveillans serait forcément soumis. Il fit choix pour ce poste, — qui est très important dans une prison, — d’une de ses vieilles connaissances, un peu brocanteur, un peu marchand de vieux habits, un peu revendeur de chiffons, tout à fait ivrogne, qui s’appelait Félix-Magloire Gentil, et que Raoul Rigault avait utilisé momentanément en guise de commissaire de police. Ce Gentil avait une férocité bestiale qui ne reculait devant rien ; il fut vite apprécié par les compagnons du directeur et admis dans leur intimité. Le hasard avait rapproché deux hommes, Préau de Védel et Gentil, qui se sentaient dignes d’être les exécuteurs des arrêts de la commune ; ils le prouvèrent.

Augustin Ranvier n’était pas seulement directeur de Sainte-Pélagie ; il avait une autre fonction que son frère Gabriel, alors au sommet des honneurs et du pouvoir, rétribuait de la main à la main. Ceci demande une courte explication. Les hommes de la commune, qui avaient passé leur vie à déblatérer contre la police, usèrent jusqu’à l’excès de l’information secrète et de l’espionnage. Toute administration, tout délégué, tout membre de ce baroque gouvernement, tout gros fonctionnaire, et il n’en manquait pas, avait sa police : police de Rigault, police de Cournet, police de Ferré, police de Protot, police de Delescluze, police de la guerre, police de l’intérieur, police des « relations extérieures, » police de l’Hôtel de Ville, de la commune, du comité central, du comité de salut public, police permanente, police universelle ; chacun jouait au policier, comme pendant le siège on avait joué au soldat. Les agens de ces innombrables polices ne s’appelaient plus ni inspecteurs, ni indicateurs ; ils avaient pris le titre de reporteurs et rapportaient tout ce qu’ils entendaient dire. Gabriel Ranvier eut sa police comme les autres, et son reporteur en chef fut son frère Augustin. Celui-ci était chargé de « tâter le pouls à l’opinion publique et d’éclairer la religion du gouvernement. » Indépendamment des délations que leur envoyait quotidiennement la venimeuse petite presse communarde,