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nous répugnent, et que leur vue, ou leur contact, ou leur odeur, nous font éprouver un sentiment de dégoût et d’aversion, qu’il est très légitime de comparer à la douleur.


IV.

Après avoir examiné comment nous recevons des êtres animés vivant autour de nous divers sentimens plus ou moins complexes, il sera plus facile de voir comment les tissus ou les organes, ou les produits de sécrétion agissent sur nos sens. Ici nous retrouverons une loi presque semblable à la première : c’est la loi que j’appellerais volontiers de l’utilité ; les matières utiles nous plaisent, les matières inutiles nous dégoûtent.

Prenons pour exemple le lait, cet aliment incomparable, nécessaire à l’existence de tous les mammifères nouveau-nés. Est-ce que sa vue et son odeur ne sont pas des plus agréables, et pourrait-on comprendre qu’il en fût autrement, et que la nature nous eût donné de la répugnance pour ce qui constitue notre première nourriture et l’aliment le plus sain qu’on puisse imaginer? Au contraire, d’autres sécrétions, qui sont le produit définitif et ultime du travail nutritif, nous inspirent du dégoût : il est tout naturel qu’il en soit ainsi. Les substances que l’organisme rejette comme inutiles et ayant terminé leur fonction nutritive ne peuvent plus être estimées par nos sens, qui s’occupent avant tout de la valeur alimentaire des choses. De là le dégoût que ces choses excitent et contre lequel on ne saurait lutter. On peut même aller plus loin encore : lorsque les liquides servant à la digestion sont détournés de leur fonction naturelle, alors que d’abord ils ne nous inspiraient aucune répugnance, ils deviennent pour nous un objet de dégoût. Ainsi la salive, par exemple, n’a rien qui nous répugne : mâcher un morceau de pain ou un bonbon est un acte qui nous semble plutôt agréable que désagréable; mais si on imagine cette même opération dans un verre, comme dans les expériences de digestion salivaire artificielle, ce qui était agréable est devenu répugnant. Il a suffi que la salive soit détournée de ses fonctions et ait abandonné la cavité buccale pour devenir un objet de dégoût. Un repas composé d’œufs, de lait, de viande, de vin, n’a rien que de fort agréable, et cependant l’odeur du suc gastrique et de ces matières à demi digérées est nauséabonde, et la vue en est odieuse : c’est que, dès que ces alimens ont quitté l’estomac, ils sont devenus impropres à remplir leur fonction nutritive, et nous avons instinctivement de la répugnance pour tout ce qui est inutile.

C’est de cette manière aussi qu’il faut expliquer les sentimens