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poissons, et ce spectacle, au lieu d’être répugnant, comme la représentation d’un crapaud ou d’un caméléon, est très agréable à l’œil, et n’éveille que des idées plaisantes.

Si nous passons des animaux vertébrés aux animaux sans vertèbres, nous trouverons encore la même loi ; mais pour bien comprendre comment elle s’applique, je voudrais insister sur un sentiment général commun à tous les êtres vivans, et dont les conséquences au point de vue psychologique n’ont peut-être pas été assez sérieusement étudiées.

Il semble que les êtres animés disséminés sur la surface terrestre aient deux grandes fonctions à remplir, la conservation de l’individu et la conservation de l’espèce. Autour de ces deux tendances également puissantes, également irrésistibles, les différens instincts viennent se grouper, en sorte que, dans la diversité inouïe et en apparence inextricable de tous ces sentimens instinctifs, on peut démêler un sens profond, souvent caché, et une merveilleuse harmonie. Nulle part peut-être la grande loi naturelle de l’unité dans la variété n’apparaît avec tant de puissance. Donc on peut jusqu’à un certain point admettre que tout s’explique par ces deux lois, à savoir, que l’être vivant s’efforce de résister à la mort et de perpétuer son espèce.

Nous n’avons pas à envisager ici quelle est la nature des instincts qui servent à la reproduction de l’espèce : ne considérons que la tendance à la conservation individuelle. Il est certain que tout ce qui vit, dès que la conscience arrive, a horreur de la mort. La mort est l’ennemi : c’est le mal, et, pour lui résister, les animaux luttent sans relâche à l’aide des forces que la nature leur a données. Cette horreur de la mort est un instinct irrésistible, farouche, tenace, auquel l’homme civilisé lui-même ne peut guère opposer sa raison. Malgré lui, il en éprouve toute la force, quand, accablé par de cruelles tortures physiques ou morales, il essaie de mettre fin à son existence. Le suicide est un acte contre nature, qui, pour être accompli, a besoin d’une énergie formidable et d’un véritable courage, bien plus rare qu’on ne le croit. Pour vaincre cet amour instinctif et profond de l’existence, il faut, ou une passion féroce, ou une intelligence supérieure, qui, se dégageant des limites étroites d’un instinct aveugle, considère une finalité plus haute. Tous les actes d’héroïsme que l’histoire a enregistrés, et dont on voit chaque jour rapportés de nouveaux exemples, ne sont que le triomphe de l’intelligence sur l’instinct. Il semble que notre existence soit protégée de toutes parts par des instincts conservateurs, veillant sans cesse sur nous, pour éloigner la mort, le mal suprême et irrémédiable.

L’amour de la vie et l’horreur de la mort sont deux sentimens