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ou non des crochets remplis de venin. C’est une vue d’ensemble qui ne peut pas tenir compte des exceptions que présente la famille des reptiles. Certains caractères primordiaux suffisent pour nous faire horreur. On ne peut demander à l’instinct d’être assez éclairé pour classer les serpens; il ne fournit que des données élémentaires, et c’est à la science, à l’éducation, qu’il appartient de les corriger.

On objectera, il est vrai, que, parmi les animaux qui ne nous répugnent pas, il en est de très dangereux, comme le lion, le tigre, le loup et bien d’autres : certes personne n’éprouverait du dégoût à caresser un tigre, tout au plus serait-il permis de n’avoir qu’une médiocre confiance et de ressentir quelque terreur. Mais il est facile de voir qu’on ne peut comparer le danger d’un lion au danger d’une vipère. Le lion annonce sa présence par sa taille, ses rugissemens; on n’est pas exposé à mettre par mégarde le pied sur lui, comme c’est le cas pour une vipère qui se blottit sous un amas de feuilles sèches. Tout chez le lion nous inspire le respect, et personne ne risque de se montrer trop familier avec lui, tandis qu’avec un infime serpent, il faut une méfiance instinctive, que l’aspect humble et rampant de l’animal ne pourrait pas nous inspirer. Avertis par l’effroi que nous cause ce contact avec la peau froide et gluante, nous retirons immédiatement notre main, brusquement, sans réflexion, avant que le jugement soit intervenu pour nous annoncer qu’il y a un danger : de même en touchant une barre de fer chauffée, avant d’avoir songé que la chaleur pourrait désorganiser nos tissus, la douleur de la brûlure nous force à retirer vivement notre main. En un mot, l’instinct veille sur nous-mêmes, et nous protège contre une confiance qui serait funeste.

On pourra dire aussi que quelques reptiles sont des substances alimentaires. Ainsi en Égypte et en Cochinchine on mange certains lézards. En Amérique, les tortues sont un mets très recherché. En France, quelques personnes mangent des grenouilles, ce qui, paraît-il, excite l’étonnement des nations voisines; mais ces exceptions ne prouvent rien, et on peut dire que les reptiles ne servent pas à l’alimentation, et qu’un grand nombre des animaux de cette classe sont venimeux et dangereux. Cette double particularité fait que les animaux rampans à peau froide et visqueuse nous inspirent un dégoût souvent insurmontable. Nous allons même jusqu’à étendre cette répulsion à tous les animaux qui par ce caractère ressemblent aux reptiles. Ainsi les poissons, qui sont pour l’homme une ressource alimentaire des plus précieuses, ont une peau froide et gluante dont le contact nous paraît répugnant. Leur vue n’a cependant rien de pénible. Loin de là, les peintres aiment à reproduire les formes bizarres et les couleurs éclatantes de plusieurs