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nature, cette précision absolue n’est ni possible, ni désirable : nous ne savons pas assez les causes dernières pour déterminer tous les phénomènes et expliquer toutes les anomalies sans rencontrer d’exception aux lois que nous avons posées. Quelque générale que soit telle ou telle loi, il est bien invraisemblable que çà et là on ne la trouvera pas, en apparence au moins, contredite par des faits exceptionnels qu’on s’explique mal, et nous devons être satisfaits, si elle comprend dans sa formule la presque totalité, non l’universalité des phénomènes. Il y aurait d’ailleurs, pour le sujet qui nous occupe ici, bien des inconvéniens à considérer les fous, les malades, les sauvages, les enfans comme les représentans de l’humanité. Certes, pour étudier un instinct, il est utile d’avoir des termes de comparaison, et de voir, à côté de la pensée humaine développée et cultivée, la pensée humaine incomplète et altérée, mais il ne faut pas que la première soit obscurcie par l’autre, et il faut donner aux sentimens de l’homme adulte, civilisé et intelligent, une part prépondérante. Aussi, tout en tenant grand compte des singularités individuelles que l’on est exposé à rencontrer, nous attacherons-nous surtout à décrire l’instinct humain, tel qu’il existe le plus souvent, sans prétendre affirmer une loi absolue et ne comportant nulle exception. Ce serait d’ailleurs une erreur de confondre les instincts de l’homme sauvage et les instincts de l’homme civilisé. Depuis six ou huit mille ans que l’homme vit en société, il a fini par acquérir certaines habitudes qu’il apporte en naissant, et qui sont devenues presque des instincts. Je serais tenté de croire que le dégoût est souvent un instinct acquis, et acquis par l’homme civilisé, en sorte qu’à l’étudier chez les nègres du centre de l’Afrique ou les indigènes de la Malaisie, on n’en aurait qu’une notion imparfaite. Un jour peut-être la science, qui s’enrichit quotidiennement d’observations anthropologiques précieuses, arrivera à faire la part des instincts fondamentaux de l’homme, et des instincts accessoires, développés postérieurement, et propres à une race ou à une civilisation.


II.

Parmi les différens objets qui nous entourent, examinons d’abord les objets inanimés, les substances inorganiques. Il est très remarquable que ces substances, pourvu qu’elles ne soient mêlées à aucune parcelle de matière organisée, n’excitent d’ordinaire aucun dégoût. Ainsi le chlore gazeux et l’acide sulfureux, dont une légère quantité suffit pour rendre l’air irrespirable, produisent de la suffocation, mais non une répulsion nauséeuse. De même une gorgée d’acide