Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des prétentions extravagantes. Un groom coûtait alors 25 francs par jour, et un tondeur demandait, et, paraît-il, obtenait, 10 livres sterling par 100 moutons (250 francs). Le rush, ou autrement dit l’affluence aux gisemens réputés aurifères, fut tel que le gouvernement dut s’inquiéter de chercher un moyen sinon d’arrêter, — cela fut considéré comme impossible, — au moins de refroidir quelque peu cette effervescence de convoitises. Il crut l’avoir trouvé en imposant à tout mineur l’obligation de se munir d’une licence dont le prix fut fixé d’abord à 30 shillings par mois. Bientôt après cette somme fut portée à 3 livres sterling. Les mineurs, qui, en attendant la réalisation de leurs espérances, étaient pour la plupart légers d’argent, se révoltèrent non-seulement contre cette aggravation de la taxe première, mais contre toute idée de taxe imposée à leur travail, et refusèrent de payer. Des arrestations s’ensuivirent, et une émeute éclata dans laquelle trente récalcitrans furent tués. Les choses s’arrêtèrent là, et le gouvernement profita de sa victoire pour modérer prudemment ses exigences, concession qui lui coûta d’autant moins qu’il ne les avait élevées que dans l’intérêt de l’ordre et non dans l’intention d’accroître la perturbation. Aujourd’hui la licence de mineur est de 10 shillings dans la Nouvelle-Galles du sud et de 5 shillings dans Victoria. Les tondeurs sont retombés de 10 livres à 17 shillings par 100 moutons, les grooms sont revenus à des prétentions modestes. Le calme est rentré dans la société australienne, et cette effervescence des premiers jours aurait passé comme un mauvais rêve, s’il ne restait pour en perpétuer et en transmettre le souvenir aux générations nouvelles un témoignage de la nature la plus durable, la ville même de Ballaarat avec ses 50,000 habitans, colossale création spontanée de la fièvre de l’or, paradoxe réalisé par la force des circonstances dans un district sauvage et infertile, loin de la mer, sans rivière navigable, sans facilités de communication, et que rien ne désignait par conséquent comme l’emplacement d’une des villes les plus considérables de l’Australie.

Depuis ces jours si pleins de turbulence, une révolution s’est d’ailleurs opérée qui a fait perdre à la vie du mineur toute sa poésie fiévreuse, si bien faite pour parler à l’imagination des jeunes et des pauvres, et coupé les ailes à ces espérances effrénées d’où les premiers rushes jaillirent avec un élan de première croisade. Cette révolution, c’est que le travail individuel s’est trouvé bien vite au bout de ses ressources et de son pouvoir. Le temps du mineur travaillant pour le compte de son ambition et de ses rêves, du simple digger qu’un heureux hasard pouvait enrichir subitement, est passé à peu près sans retour. Tout a bien marché pour lui tant qu’il ne s’est agi que de fouiller le lit des rivières, de laver les sables des plaines, de gratter la surface du sol et de creuser des