Les agriculteurs européens se sont plaints maintes fois du taux de l’intérêt qu’ils avaient à supporter lorsqu’ils étaient forcés d’emprunter; mais si, au lieu d’emprunter sur leur terre, ils étaient contraints d’emprunter sur leur cheptel ou leurs récoltes futures, à quel taux leur prêterait-on ? Le prêteur, qui n’aurait plus le gage fixe de la terre, serait obligé de faire entrer dans ses calculs les chances d’épizootie possibles, les variations vraisemblables des foires et marchés, les pronostics physiques de la prochaine saison, et alors l’intérêt de l’emprunt, selon les circonstances, s’élèverait facilement de 5 et de 6 à 10 et 12 pour 100. C’est à ce taux qu’emprunte généralement le squatter aux ressources premières insuffisantes. Une fois la tonte faite, la laine est emballée et envoyée à Londres au créancier, qui la vend au cours du marché et qui inscrit la valeur de la somme reçue à l’avoir de son débiteur. Même chose si le squatter fait une transaction quelconque sur ses troupeaux, s’il en vend une partie ou s’il échange des bêtes d’un haut prix pour des bêtes d’un prix moins élevé. Cela une fois fait, le squatter a considérablement diminué sa dette, il est vrai, mais il s’est privé absolument de toutes les ressources qui pouvaient lui permettre de marcher en attendant ses prochains produits. Il demande donc à son créancier l’argent nécessaire pour passer l’année, tenir son run et payer ses salaires, et le créancier avance cette nouvelle somme en ajoutant au taux de l’intérêt premier un droit de commission de 2 1/2 pour 100, en sorte qu’en livrant sa laine et le prix de ses ventes de troupeaux, le squatter se libère en partie d’un intérêt à 8 ou 9 pour 100 pour s’embarrasser d’un nouvel intérêt à 10 ou à 11 pour 100. Comme ces droits de commission s’élèvent à mesure que les avances se succèdent, on n’aura aucune peine à croire que dans certains runs les intérêts de la dette du squatter se montent, comme le rapporte M. Trollope, à plus de 20 pour 100. S’il arrive un moment où les avances paraissent trop fortes au prêteur pour être convenablement amorties par les profits annuels, le run et les troupeaux passent en d’autres mains; mais ces cas d’expropriation sont rares, le prêteur n’ayant qu’à y perdre, et le squatter, même embarrassé d’une dette interminable, peut donc continuer à mener une vie heureuse et aisée en toute sécurité. Qui ne voit cependant que, même dans ces conditions favorables, le squatter n’est autre chose que l’intendant bien rétribué du marchand anglais, qui a fait les frais de son établissement et qui consent à le laisser en place tant qu’il lui donne de beaux profits? Il faut donc être riche pour être squatter en toute indépendance; mais celui qui l’est à ce titre, maître absolu dans son bush de tout ce qui l’entoure, n’a certes d’égal pour la liberté et le plaisir du commandement chez aucune aristocratie du monde actuel.
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