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ont beau être grandes, — et elles sont excessives dans toutes ces colonies, — l’agriculture n’a donc pu prendre jusqu’à présent un ascendant que tant de causes réunies s’accordent à lui refuser. Une seule colonie fait exception à cet égard, l’Australie du sud, et cela grâce à un concours de circonstances qui ne s’est pas présenté ailleurs. La nature du sol, reconnu presque tout entier propre à la culture dans toute la région visitée par les pluies, y a attiré en masse la partie la plus sérieuse, la plus pratique, de l’émigration agricole anglaise et allemande. Les colons n’ont pas trouvé en arrivant le sol occupé déjà par des rivaux puissans et mal intentionnés; squatters et free selecters sont de même date dans cette plus jeune des colonies australiennes, et, par suite de la division du pays en deux régions, celle où il pleut et celle où il ne pleut pas, ces deux classes d’hommes vivent plus séparées qu’ailleurs l’une de l’autre. Les facilités de paiement, plus larges encore que dans les autres colonies, leur ont permis d’être plus vite et plus sûrement maîtres de leurs terres, et enfin cette terre ils la cultivent eux-mêmes au moyen de leurs familles par le moins prévoyant, mais le plus lucratif des systèmes, l’épuisement du sol. L’agriculteur de l’Australie du sud effleure sa terre de sa charrue, l’ensemence, la moissonne, et recommence invariablement chaque année sans jamais varier la culture, et sans autres engrais que les cendres de sa paille, qu’il ne prend pas la peine de récolter, et à laquelle il met le feu dès que l’ingénieuse machine dont il se sert, appelée stripper, en passant sur sa moisson lui a cueilli tout son grain sans toucher aux épis, qui restent intacts derrière elle. Il a gagné à ce détestable système une entière indépendance, une vie aisée et le sobriquet de cacatoès, facétie populaire signifiant qu’il égratigne la terre à la manière de ces oiseaux au lieu de la labourer sérieusement, et qui peint ainsi assez plaisamment ses procédés de culture.

Le squatter souffre comme le free selecter, bien qu’à un moindre degré, de ces fatalités de la nature australienne. Il nourrit des troupeaux de 80, de 150, de 200,000 moutons, mais c’est à la condition d’avoir devant lui des espaces illimités. On estime d’ordinaire qu’un mouton exige trois acres pour sa nourriture, ce qui indique suffisamment que le pâturage n’est pas toujours très fourni, et que par suite de la sécheresse trop constante les herbages ne se renouvellent pas avec toute la rapidité désirable. Si le run, au lieu d’être établi sur les plaines verdoyantes de Darling-Downs dans Queensland, ou sur les plaines salées de la Riverina dans la Nouvelle-Galles du sud, se trouve placé dans le bush même, c’est-à-dire en pleine forêt, où les troupeaux paissent moins commodément, cette étendue doit être augmentée encore. Si la sécheresse est absolue, ou si deux années trop chaudes se succèdent, les troupeaux dépérissent,