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pastoral sur l’élément agricole. Ce fait social, qui est nécessaire à la formation première de toute aristocratie sérieuse, s’est donc rencontré en Australie; ainsi l’ont voulu les circonstances du sol, du climat et de la politique, et les squatters ont grandement aidé les circonstances.

En 1803, un certain capitaine Macarthur, homme avisé qui avait fait partie du corps d’occupation de la Nouvelle-Galles du sud, proposa au gouvernement anglais d’introduire à ses frais en Australie la race des moutons mérinos pourvu qu’on lui donnât la permission d’occuper un espace suffisant des terres sans possesseurs pour faire pacager ses troupeaux. À cette époque, aucune loi fixant le régime des terres australiennes n’avait été rendue par le parlement anglais, et la couronne en disposait à son caprice. C’était le temps des dons gratuits et des immenses concessions; il fut donc accordé à Macarthur plus et mieux qu’il ne demandait. Avec la permission, il obtint une concession de 10,000 acres de terres qui forme aujourd’hui le district de Camden dans la Nouvelle-Galles du sud. Macarthur réussit, d’autres suivirent son exemple, obtinrent la même permission avec ou sans concession de terres, prospérèrent comme lui, et en peu d’années un immense intérêt anglais se trouva créé en Australie avec cet élevage des troupeaux pour la production de la laine. A l’origine, le squatter usait de cette permission gratuitement et sans être astreint à aucun retour envers le gouvernement; mais on ne tarda pas à faire réflexion que, puisqu’il en tirait un bénéfice énorme, il n’était que juste que le gouvernement anglais en tirât de son côté quelque profit, et au régime de la permission pure et simple succéda le régime de la licence pastorale. Des baux passés pour un nombre d’années déterminé, renouvelables à la volonté des contractans, garantirent au squatter le droit d’usage sur les terres non possédées moyennant une redevance qui porta moins sur l’étendue réclamée pour le pâturage que sur le chiffre des moutons déclarés. Le squatter devint locataire, pour un objet nettement défini, des terres de la couronne, et ainsi se forma une classe d’hommes qui occupèrent en maîtres d’immenses étendues sans en posséder réellement un seul acre, situation originale qui a été le germe d’une aristocratie d’un genre nouveau. Comme ce contrat de louage n’entraînait aucune aliénation ni permanente, ni temporaire, l’état restait toujours maître des terres ainsi concédées, et après des controverses qui durèrent des années entre les économistes et les hommes politiques sur la meilleure manière d’en disposer, le parlement britannique, en 1842, déclara par une loi que la couronne ne pourrait aliéner ces terres autrement que par voie de vente.

Les millions d’acres occupés par les squatters, n’étant ni affermés ni vendus, furent donc ouverts aux immigrans, qui eurent pouvoir