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Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,
Et cependant le seul Molière y gît.


Quelle conclusion tirerons-nous de là? Sans doute que les contemporains de Molière l’ont bien vu tel qu’il était, et qu’en somme l’auteur de l’École des femmes et du Tartuffe a été moins sévèrement jugé par son siècle et moins injustement que Racine en particulier. On rappelle toujours le demi-succès du Misanthrope ; M. Despois y revient et rapproche, comme une autre erreur célèbre du goût public, l’insuccès de Turcaret en 1709. Mais c’est qu’en effet le Misanthrope et Turcaret ne sont pas ce qu’on appelle aujourd’hui « scéniques » et ne valent vraiment leur prix qu’à la lecture. Et la preuve en est que toutes les fois qu’à des époques différentes on a repris Turcaret, qui n’est pas, lui, comme le Misanthrope, défendu par le grand nom de Molière contre toutes les révolutions du goût, la comédie de Le Sage n’a pas rempli l’attente que la lecture en avait fait concevoir et n’a guère dépassé le succès d’estime. Et pour les critiques de Boileau, de Bayle, de La Bruyère, de Fénelon, reprises depuis au XVIIIe siècle, et même avec une sévérité d’expression plus forte encore, par Vauvenargues et par Voltaire, peut-être qu’elles ne sont pas si mal fondées qu’on le prétend d’ordinaire et qu’après tout elles ne doivent pas exciter tant d’étonnement. Il est certain que, quand Alceste prononce tels vers :

Le poids de sa grimace où brille l’artifice
Renverse le bon droit et tourne la justice,

(Acte IV, sc. I.)


qui sont assez nombreux dans le Misanthrope, nous comprenons un peu La Bruyère et Fénelon. Il ne faudrait pas, à la vérité, comme l’a fait un auteur dramatique de notre temps, sous prétexte de motiver le jugement de Fénelon tout en justifiant Molière, prendre un exemple qui ferait le procès à toute la prose du XVIIe siècle. C’est avoir eu la main malheureuse de choisir quelques phrases de Molière, très nettes et très claires d’ailleurs, mais chargées d’incidences, de relatifs et de conjonctions. Il n’est personne du XVIIe siècle qui parle ou qui écrive autrement. À ce moment de l’histoire de la prose française, les relatifs et les conjonctions sont comme les attaches de la phrase, les articulations de la période, et suppléent le rôle que jouent aujourd’hui dans notre manière d’écrire les signes de la ponctuation. Si c’étaient de telles phrases qu’eussent blâmées les juges de Molière, ils se seraient trop évidemment condamnés avec lui. D’ailleurs nous ne nierons pas que les termes de ces jugemens nous paraissent aujourd’hui bien durs, et vraiment