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hostilité. Mais il ne saurait plus être question désormais de Tartuffe, ni de la cabale, encore moins d’une espèce d’émeute préparée par les meneurs du parti dévot. Et quant à cette scène que Grimarest essaie de décrire : — le populaire attroupé devant la maison de Molière, la femme de Molière épouvantée du murmure menaçant de cette « foule incroyable » et jetant par la fenêtre l’argent à pleines poignées, — certainement il ne nous déplairait pas qu’une fois de plus le peuple eût prouvé ce merveilleux instinct qu’il a pour méconnaître ceux qui l’ont aimé le plus sincèrement, et qu’il eût outragé le cercueil de Molière comme dix ans plus tard il insultera le convoi de Colbert, mais il y a un texte précis. « Le corps, dit un témoin oculaire, pris rue de Richelieu, devant l’hôtel de Crussol, a été porté au cimetière Saint-Joseph et enterré au pied de la croix. Il y avait grande foule de peuple, et l’on a fait distribution de 1,000 à 1,200 livres aux pauvres qui s’y sont trouvés, à chacun 5 sols. » Il est assez singulier, comme le fait remarquer justement M. Loiseleur, que, cette lettre étant connue depuis déjà vingt-six ans, et l’authenticité n’en ayant pas été mise en doute, personne encore ne se fût avisé qu’elle démentait formellement le récit de Grimarest, tel que l’ont accrédité toutes les biographies de Molière. Le clergé de Paris fit son devoir, ou plutôt il usa de ses droits, peut-être avec rigueur, mais avec une rigueur qu’il dépendra des convictions de chacun d’approuver ou de blâmer. Et j’avoue qu’il me paraît au moins fort inutile de faire intervenir à ce propos l’archevêque de Paris, Harlai de Champvallon, « son intolérance barbare » et les « débauches qui le menèrent au tombeau. » Ce raisonnement contemporain est vraiment bien singulier qui voudrait, parce qu’un homme a violé quelques-uns de ses devoirs, qu’il les transgressât tous, et qui se refuse à comprendre que le respect de l’obligation professionnelle est indépendant des vertus ou des vices de l’homme privé. Pour le peuple, il observa du moins les convenances. Et comme il faut qu’un peu de gaîté se mêle toujours aux choses les plus tristes, il n’y eut enfin que les médecins et les apothicaires qui gardèrent au grand homme une longue rancune des immortelles plaisanteries qu’il avait dirigées contre la Faculté.


III.

Sur toutes ces questions, on comprend sans peine que la lumière ait été lente à se faire, et qu’encore aujourd’hui, sur bien des points, la contradiction demeure possible, et le doute. Rien n’est si difficile que de refaire une biographie de toutes pièces et que de rétablir, après deux siècles écoulés, la simple vérité des faits contre une tradition reçue. Les anecdotes en effet, les historiettes.