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le premier succès du Dépit amoureux, Retourna-t-il à Lyon? On relève sur les registres de l’Hôtel-Dieu de cette ville, à la date du 19 février 1657, la mention d’une représentation au profit des pauvres : malheureusement aucune indication bien précise ne permet d’affirmer qu’il s’agisse là de la troupe de Molière. Encore une fois il faut prendre garde à ne pas tirer des pièces authentiques des inductions trop hardies et trop promptes. C’est ainsi que, découvrant dans l’inventaire de Madeleine Béjart une commission donnée « par Pierre Le Blanc, conseiller et juge pour le roi en la cour de Nîmes, » le 12 avril 1657, à l’effet de poursuivre un remboursement de créance, on en conclut qu’au mois d’avril 1657 Molière était à Nîmes. Mais, puisque nous n’avons pas le texte même de cette commission, n’oublie-t-on pas qu’il serait possible que la commission fut délivrée par le juge de Nîmes, tout simplement parce que le débiteur, ou sa caution, avait son domicile à Nîmes, domicile réel ou domicile élu? Si nous en appelons à cette commission pour prétendre que Madeleine Béjart, qui l’obtient, est présente à Nîmes, et Molière avec elle, je ne vois pas ce qui nous empêche de supposer que Joseph Béjart, qui le 16 avril 1657 arrache à la lésinerie des états du Languedoc une gratification de 500 livres pour son Armoriai de la province, soit encore à Béziers et la troupe avec lui? C’est peut-être la vérité : Béziers n’est pas bien loin de Nîmes ; peut-être Molière n’a-t-il pas tenu rancune à Messieurs des États, ou plutôt il n’a pas voulu se refuser la petite vengeance de jouer en dépit d’eux et de réussir sans eux. En tout cas, il reste là, comme on voit, quelque confusion à dissiper. D’ailleurs cette dernière année de pérégrinations est évidemment mal connue. « De Nîmes, dit M. Loiseleur, la caravane fit route pour Orange et Avignon, où Molière retrouva son ancien camarade Chapelle. » Il y a là certainement erreur. Orange est sur le chemin d’Avignon : la raison est-elle suffisante pour croire que la troupe y ait donné des représentations? Quant à la rencontre de Molière et de Chapelle, si par hasard elle avait eu lieu, d’abord il serait singulier que Chapelle ne nous en eût rien dit, mais surtout elle ne pourrait pas dater d’avril ou de mai 1657, puisqu’en avril ou mai 1657 Chapelle et Bachaumont ont terminé depuis cinq ou six mois le voyage qu’ils nous ont raconté. C’est au mois de juillet 1656 ou de juin qu’ils ont quitté Paris, au mois d’août qu’ils ont pris les eaux d’Encausse, et vers le milieu de novembre qu’après leur course de Provence ils traversent Lyon, où ils écrivent la relation de leur voyage. Les preuves sont acquises. M. Loiseleur ajoute : « C’est aussi dans la vieille cité papale que Molière rencontra Mignard, avec lequel il contracta une amitié solide. » Ici la rencontre ne paraît pas douteuse : elle a pour garant un consciencieux biographe de Mignard, l’abbé de Monville, qui écrit