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qui avait été incessante, parut s’éloigner, et tout à coup une compagnie de soldats de la ligne pénétra dans la prison ; on alla promptement ramasser quelques blessés appartenant aux troupes régulières et on les confia au chef de l’ambulance, qui réserva pour eux ses soins les plus attentifs. Le capitaine qui commandait la compagnie dit : — Où est donc le directeur ? Personne ne répondit, et Mouton redoubla de prévenances pour les blessés ! Cet homme n’avait point été mauvais, on n’avait pas eu à souffrir de son administration, son intempérance même l’avait rendu presque inoffensif ; nul, parmi le personnel des surveillans, ne lui souhaitait de mal et n’eût voulu le livrer. Le capitaine répéta sa question ; une détenue cligna de l’œil et désigna le chef de l’ambulance. Mouton fut immédiatement arrêté. Lorsqu’il fut traduit en cour d’assises, on lui tint compte de son caractère neutre et sans méchanceté ; il fut frappé d’une peine relativement légère que l’initiative de la commission des grâces put encore adoucir. Pendant toute la durée de son incarcération en maison centrale, il fut le modèle de l’atelier de cordonnerie auquel ses talens particuliers l’avaient fait attacher ; il est libre aujourd’hui et a repris philosophiquement le tranchet et le tire-pied. Méphisto, nous l’avons déjà dit, sut habilement éviter toute poursuite ; La Brunière de Médicis fut moins heureux : dès le 25 mai, il était incarcéré ; il fut condamné à la déportation. Du bagne de Toulon, où il attendait son départ pour la Calédonie, il écrivit à sa femme une lettre qu’il espérait sans doute voir saisir et qui est une minutieuse dénonciation contre tous les officiers fédérés qu’il a connus ; il termine par ces mots : « Mon nom et ma dignité m’empêchent de faire le métier de délateur ! » — « toutes nos vacations sont farcesques, » disait Montaigne.


III. — SAINTE-PELAGIE.

La vieille maison de refuge pour les filles de mauvaise vie que Marie Bonneau, veuve de Beauharnais de Miramion, fonda en 1665, forme, dans le quartier du Jardin-des-Plantes, une sorte d’îlot carré borné par les rues de la Clef, du Puits-de-l’Hermite, de Lacépède et du Battoir. Elle n’a point de cellules, on n’y trouve que des dortoirs, des salles en commun, quelques chambres réservées à la pistole et une division isolée généralement attribuée aux détenus politiques et que l’on appelle, en plaisantant, le pavillon des Princes. Cette prison est affreuse, elle est atteinte de lèpre sénile ; on a beau la nettoyer, la fourbir, la repeindre, elle succombe sous le poids de son grand âge. On dit qu’on va prochainement la démolir : il y a longtemps qu’elle aurait dû être remplacée, car elle n’appartient plus à notre civilisation ; elle est moins un lieu